Test de Farrel

     Phil Tippett. Si vous ne connaissez certainement pas son nom, vous avez au moins déjà été témoin de la qualité indéniable de son travail.

     Spécialiste de l’animation en volume, ce grand monsieur est notamment à l’origine des créatures arachnoïdes de Starship Troopers, de l’antagoniste robotique principal (ED-209) de Robocop, ou encore des effets de Willow, Cœur de Dragon ou, plus récemment… Twilight.

     Mad God est son projet de cœur, sur lequel il a travaillé durant plus de 30 ans. L’œuvre d’une vie, qui ne se regarde comme aucun autre film… et dont personne ne peut ressortir indemne.

Dieu est devenu fou… ou l’a-t-il toujours été ?

     Tout commence par une citation du Lévitique, dans lequel Dieu menace les hommes de leur faire subir mille tourments s’ils osent s’opposer à lui. Puis vient la vision euphorique d’un peuple venant de terminer la construction de la tour de Babel.

     Vous voilà plongé dans Mad God, suivant une navette qui descend dans les

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tréfonds d’une ville décatie. Un homme en sort, visiblement animé par une mission capitale. Où son périple va-t-il le mener ? Jusqu’aux limbes de la folie ; et plus bas encore…

     Mad God… est une œuvre sans pareille. Durant l’heure et demie que dure l’expérience, Tippett décuple les expériences horrifiques les plus obscures, sales, cherchant à creuser dans les profondeurs de l’indicible.

     Dieu se venge. Et les hommes, du moins ce qu’il en reste, vont souffrir plus que votre esprit ne peut l’imaginer, ou même le concevoir.

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     Chaque plan, chaque séquence est une ode à l’innommable, à l’abominable, à l’horrible… Je pense que, malgré toute la culture qui est mienne, je ne dispose malheureusement pas d’assez de vocabulaire pour parvenir à cerner l’essence même des émotions qui m’ont transpercé durant le visionnage.

     Mad God est merveilleusement atroce. Il subjugue les sens, pour ne laisser au

final que désespoir et mal-être.

     C’est le cauchemar d’un esprit fou, la quintessence d’une idéologie aliénée, tout autant qu’une plongée dans les limbes de l’esprit, du cœur et de l’âme.

     Tout au long de l’expérience, quelques bribes de lucidité émergent, laissant croire que tout ceci a du sens, que l’écriture va au-delà de la compréhension humaine. Sans doute faut-il plusieurs visionnages pour le comprendre pleinement… si vous en avez le courage.

La perfection de la technique

       Si vous avez moins de 30 ans, alors le principe du stop motion doit vous être inconnu. Pour résumer, disons qu’il s’agit d’une forme de mise en scène consistant à capturer, image par image, des plans fixes de maquettes réellement créées. Et Phil Tippett en est le maître incontesté.

       Pour la petite histoire, Spielberg lui-même l’avait engagé pour créer les

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dinosaures du premier Jurassic Park, avant de découvrir les images de synthèse.

       Mad God est clairement l’œuvre ultime, le parangon de cette technique, l’utilisant avec un art et un brio impressionnant.

       Entièrement muet, le film se contente de nous montrer cette traversée de la vie (et surtout de la mort) via une succession de plans tous plus abjects les uns que les autres… mais paradoxalement tellement beaux.

       Dire que le talent de Tippett est à son paroxysme serait un doux euphémisme. Que ce soit dans l’utilisation des poupées, les constructions et mises en scène, tout est parfait.

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       Et que dire des intégrations en prises de vues réelles qui jalonnent le film ? Des quelques acteurs qui se perdent parfois dans ce dédale infernal ?

       Mais le rapport au corps, à la chair (souvent en putréfaction) est sans nul doute le plus impressionnant.

       Tout au long de cette chronique, je n’ai que peu évoqué les images elles-mêmes, ni les situations que Phil Tippett vous invite à éprouver. C’est volontaire. D’une part, parce que je ne saurais comment les décrire, d’autre part, pour vous laisser le déplaisir de les découvrir par vous-même.

       Si vous avez le cœur bien accroché et l’esprit vaillant, ne manquez surtout pas Mad God.