Le monde du manga et de l’animation japonaise regorge de petites pépites tantôt célèbres, tantôt passées inaperçues. Mais s’il y’a bien un auteur qui brille sur les deux tableaux, c’est ce cher Naoki Urasawa.

     Pour une raison très étrange, le père Urasawa est à l’origine de certains des plus grands bijoux que le pays du Soleil levant a pu nous livrer… tout en étant paradoxalement très peu connu du grand public occidental.

     Bien que Monster ait fait le succès de l’auteur (j’ai littéralement des frissons rien qu’en écrivant le nom du manga), il nous a gratifiés avant cela d’une autre œuvre subversive et dystopique digne d’être élevée au rang de chef-d’œuvre. Eh oui, je parle de 20th Century Boys…

     Ah. Non. On me fait signe dans l’oreillette qu’on va cette fois-ci s’attaquer non pas à l’œuvre d’origine, mais à l’adaptation cinématographique sortie en 2008. Au temps pour moi !

Une production hors normes

     Donc, 20th Century Boys le film est réalisé par Yukihiko Tsutsumi, producteur et réalisateur japonais totalement inconnu en dehors de son pays mais à la filmographie impressionnante. Le bonhomme est à l’origine de pas moins de 52 films en quelque vingt années. Oui, une bonne moyenne de pratiquement trois films par an entre 1988 et 2019.

     C’est également l’un des rares réalisateurs dont les œuvres sont sorties à l’internationale. Assez spécialisé dans l’adaptation de jeux-vidéo et de mangas, on lui doit entre autres les films Beck, EFF, Forbidden Siren, Black

Jack… et bien entendu sa trilogie de 20th Century Boys.

     Et si ses œuvres sont de qualité très variable, il faut qu’on s’attarde deux minutes sur celle qui m’intéresse aujourd’hui. Car oui, il y a des choses à dire.

     Si en France le manga éponyme a acquis une petite célébrité (voire un rang d’œuvre culte auprès de certains cercles d’initiés) ; au Japon, 20th Century Boys est une institution. Régulièrement cité parmi les plus grandes œuvres de tous les temps, disposant d’une énorme base de fanatiques hardcores ; se lancer sur une adaptation cinématographique exigeait quelques sacrifices et concessions pour ne décevoir personne.

     Ce sont donc cinq studios de production et quatre scénaristes (dont Naoki Urasawa lui-même) qui se sont attelés à cette tâche dantesque, en injectant six milliards de Yens dans le projet. Six. Milliards (environ 45 millions d’euros). Soit tout simplement le plus gros budget de l’histoire du cinéma nippon. Et pour concrétiser tout ça, on va retrouve quelque 300 acteurs et des milliers de figurants dans six pays différents. À titre comparatif, l’adaptation de Battle Royal en a coûté dix fois moins.

     Mais si le budget faisait un bon film, ça se saurait. Pourtant mes amis, croyez-moi, nous sommes sans doute devant la meilleure trilogie de l’histoire du cinéma nippon. 

La meilleure des dystopies

     Mais c’est quoi exactement, 20th Century Boys ? Si, comme moi plus jeune, vous avez été découragé par la lecture des 22 volumes, alors il serait bon de vous remettre un peu dans le contexte.

     En 1969, le jeune Kenji et sa bande de potes passent leur été à rêver de l’exposition universelle et à inventer un scénario de fin du monde en consignant le tout dans un « cahier des prédictions ». Bien entendu, l’enfant qui s’imaginait en rock star sauveur du

monde en était le héros. Après une vie de déboires et d’échecs, Kenji finit par bosser dans un Konbini tout en s’occupant de sa nièce, Kanna.

     C’est en 1997 que son passé le rattrape, alors que la police enquête sur une mystérieuse secte dont le symbole ressemble à s’y méprendre à celui que lui et ses amis ont créé étant enfants. Les soupçons des forces de l’ordre se portent tout naturellement sur eux. Kenji devra se battre avec son passé et, surtout, avec le mystérieux « Ami », gourou dont le masque représente une forme d’index levé dans un œil.

     Bien sûr, ainsi présenté, le scénario ressemble à beaucoup d’autres. On dirait, au mieux, un film catastrophe ou éventuellement un nanar bourré d’action. Mais en dire plus serait indubitablement spoiler… Et là, vraiment, je ne peux pas. Ça m’est viscéralement impossible, tant les rebondissements sont nombreux et la finalité grandiose.

     Tout ce que je peux vous dire, c’est que le fameux Ami évolue de film en film ; passant de gourou d’une petite secte de quartier à Dieu Vivant et président du monde, en mettant tout en œuvre pour que Kenji devienne à la fois son rival et… ah non, même ça je ne peux pas, en fait.

     Là où l’histoire de 20th Century Boys est grandiose, c’est qu’elle ne se contente pas d’un seul niveau de lecture. Naoki Urasawa aborde dans son œuvre tellement de problématiques sociétales japonaises qu’il serait difficile d’en faire une liste exhaustive.

     On y retrouve en vrac la peur des attentats, de l’arme nucléaire, le problème des sectes, la xénophobie latente, la peur de l’évolution et du changement des mœurs, la domination culturelle américaine, les problèmes relationnels, le désespoir de la jeunesse, la place des femmes dans la société… et je ne parle ici que du gros du scénario. Car oui, un troisième niveau de lecture s’offre au spectateur, cette fois en revenant un cran en dessous, simplement à échelle d’hommes.

     Les différents protagonistes représentent tous une facette du monde « moderne » japonais. Tous enfants égaux, jouant ensemble à s’inventer des mondes imaginaires ; ils finissent par se perdre de vue et par évoluer différemment. Capitaliste, collabo, révolutionnaire, soumis au système… On peut également y voir un message assez fort sur la famille, ou la passation de génération et des luttes grâce au personnage de Kana.

     Finalement, 20th Century Boys apporte tellement de messages qu’on pourrait finir par s’y perdre. Et la question qui suit logiquement est toute simple : quid de cette adaptation ? Parvient-elle à capturer cette essence, ces messages, tout en respectant une histoire longue et très, très dense ?

Un putain de chef-d’œuvre

     La réponse et le ton sont donnés. C’est un oui. Un immense oui sans aucune concession. Non seulement la trilogie parvient à remplir chacun de ses objectifs, mais en plus, en changeant de médium. Oui, ce n’était pas chose aisée, c’est certain. Mais le résultat est là.

     Tsutsumi est parvenue avec brio à comprendre qu’adapter, ce n’est pas recopier. Il coupe dans le gras, ne garde que l’essentiel, parvient à faire sien cet univers et à lui donner une consistance plus « réaliste ». Que ce soit au niveau des protagonistes, de la narration ou des effets visuels ; rien ne fait « manga ». Comprenez par-là que nous ne sommes pas devant un film qui tente 

vainement de se la jouer Shônen, que les personnages ne sont pas tous des acteurs de Kabuki en costume Lidl souffrant de sévère Chuunibyou. Non, tout est crédible, cohérent, logique.

     Certes, je pourrais sans doute lui reprocher de parfois s’éloigner de son matériau de base. Mais quand on découvre pour la première fois l’œuvre par le prisme de la trilogie, tout devient plus clair. Vu les messages, vu l’évolution de notre société ; 20th Century Boys avait tout pour s’ancrer durablement dans le réel. En faire une sorte d’animé filmé n’aurait eu pour conséquence que d’épaissir cette frontière entre réel et imaginaire et, par corrélation simple, de rendre son propos sous-jacent totalement inintelligible. Pour ne pas dire inintéressant.

     En adoptant une approche résolument plus manichéenne, en s’appropriant les codes du cinéma mainstream, Tsutsumi arrive à nous livrer sans fioritures un film international et intergénérationnel. Capable de parler à tous, à travers les époques, il nous livre ici une œuvre qui devrait faire consensus. 

     Pour parachever la structure de l’œuvre, le choix des musiques est également grandiose. Je le rappelle, Kenji voulait devenir un rockeur. Les vicissitudes de la vie l’ont contraint à abandonner ses rêves et ses espoirs pour se murer dans un quotidien insipide et plat, certes… Mais en lui brûle toujours le feu sacré, la passion. En brisant l’omerta de ses contraintes socio-économiques, Kenji réalise que c’était lui et uniquement lui qui s’était enchaîné, bridé, cloîtré.

     Et pour nous accompagner dans ce parcours, dans cette évolution, c’est donc bel et bien du grand rock comme on l’aime qui sert de bande-son. T-Rex et Bowie en tête et, en fer de lance (et événement majeur) une reprise de Clapton qui me fait vibrer jusqu’aux tréfonds de mon âme à chaque fois.

J’aime

J’aime moins

L

Une adaptation libre et originale

L

La mise en scène impressionnante

L

bourré de messages et de sous-textes

L

l'une des meilleures trilogie du cinéma nippon

L

LA V.F. de très bonne facture

K

j'en veux plus !