J’ai entendu parler de Blue Period plusieurs fois. Il a su se faire une place dans l’univers tellement vaste de l’animation. De plus en plus intriguée à mesure qu’on me le vendait comme un animé d’exception, j’ai décidé de m’y pencher sérieusement. Prenez votre pinceau, on embarque !

Pour l’amour de l’art

     Blue Period suit le quotidien d’un étudiant qui n’a aucune passion. Il accompagne ses amis dans leurs beuveries et fume pour être cool. Il s’intègre, suit le mouvement, rentre dans le moule. Sa vie est insipide et il doit travailler encore plus dur pour compenser toutes ses soirées au bout desquelles il se couche tard.

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     Mais un beau jour, il découvre la toile de Mori et là… C’est le coup de foudre. Quelque chose s’éveille en lui : sa fibre artistique. Jusque-là, rien ne le happait. Mais en voyant ces anges sur un format A100, il se sent ému et trouve véritablement sa vocation.

     Pour la première fois de sa vie, Yatora ne suit plus la masse mais écoute son cœur. Un besoin ardent d’exprimer ce qu’il a au plus profond de lui.

     Le quartier du coin baigne dans un bleu magnifique au petit jour. Et c’est en éveillant son amour de l’art qu’il l’aperçoit enfin. Un vulgaire ciel ordinaire pour le commun des mortels se transforme en nuances de bleu, beau à en pleurer pour lui. Quantité de détails ponctuent alors son quotidien. Les textures, la matière, les formes… Jusque-là, il était aveugle.

     Yatora décide de passer le concours pour entrer à Geidai, l’université gratuite des beaux-arts japonais, en spécialisation peinture à huile. Très peu d’élèves sont reçus et il a conscience que c’est une voie ardue qui ne lui permettra aucun débouché. Au mieux, il deviendra professeur d’arts plastiques. Pourtant… Il choisit d’arpenter ce chemin difficile.

     Ses camarades ont commencé très tôt à dessiner tandis que lui part de 0 pour se présenter à un concours relativement proche, sans rien savoir… Un véritable défi.

     Yatora apprend, persévère. Plus qu’un simple animé qui parle d’art, c’est un voyage initiatique dans son for intérieur, qui lui révèle des pans de lui-même. On suit le parallèle avec ce qu’il vit au quotidien, ses émotions intenses qui influent forcément sur son travail. Quand on est artiste, toutes nos émotions sont exacerbées, c’est douloureux et passionné, joyeux, doux et triste, ponctué d’éclats d’ombre et de lumière. Je ne suis pas peintre mais écrivaine, alors ce moyen d’expression me parle également.

     J’évoque l’introspection et c’est tellement ça. Le meilleur exemple se situe lorsque le miroir de Yatora se brise durant son premier examen. C’est une révélation pour lui, il réalise qu’il n’y a pas une simple dualité dans sa personne, mais bel et bien quantité de facettes. J’ai beaucoup aimé ce passage, ainsi que sa colère qu’il déchaîne sous la forme d’un tableau très lumineux.

Passion

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     On sent que Blue Period a été créé par une véritable passionnée qui connaît son sujet. Yamaguchi Tsubasa est diplômée de l’université Geidai et ça se ressent. Un hommage, des anecdotes, ça fourmille de vie. Quantité de techniques sont abordées, de façons d’appréhender l’art. Au gré des rencontres de Yatora qui croise d’autres artistes, il appréhende leur monde. Il n’est et ne sera jamais eux. De fait, chaque travail est différent selon l’artiste qui lui donne

corps. Tous ces points de vue sont fantastiques. Le modèle nu de la dernière épreuve est le plus parlant. Chaque élève peint la jeune fille de manière différente. Parfois sans que ça lui ressemble, même vaguement. C’est avant tout un regard intérieur. Ce que l’on voit avec les yeux du cœur. Si un ciel est rose pour soi en pleine nuit, alors pourquoi pas ? On en revient, bien évidemment, à Picasso, considéré comme un génie. Je ne suis pas sensible à son univers, mais c’est une bonne approche pour exprimer la diversité artistique.

     Yatora se lie d’amitié avec Mori, qui utilise la prière comme principe de création dans ses tableaux, mais elle part assez vite pour ses études supérieures. Restent Haruka et Maki. Quant à Yotasuke, il incarne avant tout un modèle à suivre, voire même un rival, dans le bon sens du terme. Il pousse Yatora à s’améliorer. Et bien sûr, il y a Ryuji, son ami d’enfance. Ce dernier est très intéressant dans le traitement de son personnage. Jeune homme travesti rejeté par ses parents, il choisit la peinture japonaise classique pour faire plaisir à sa grand-mère qui est la seule de la maisonnée à se montrer gentille avec lui et le traiter comme une fille. Pour Yatora, Ryuji a toujours été un garçon déguisé en fille, mais par la suite, il réalise que c’est plus complexe que ça. Sans se déclarer véritablement, il promet tout de même à Ryuji d’aller le sauver s’il se noie après avoir épuisé toutes les autres alternatives. Leur relation est très forte et évolue durant leur escale dans l’auberge en plein hiver. « La nudité, c’est montrer sa beauté et sa laideur. C’est extrêmement touchant. » Point d’ecchi dans ce chef-d’œuvre, juste une introspection, la découverte de soi. Yatora trouve que son corps ressemble à du caoutchouc, assez laid. S’accepter soi-même, c’est tout un travail, encore plus dans cette Société qui nous pousse à nous haïr pour nous tourner vers le consumérisme. Acheter de la beauté pour pallier à notre propre laideur, inhérente à l’image que la Société souhaite que l’on ait de nous-mêmes.

Jusqu’au bout

     Yatora persévère. Au point de développer de l’urticaire sur les avant-bras. Sa santé décline à cause du stress et du surmenage. Il se focalise sur les résultats en se sentant médiocre. Convaincu d’être un gros nul sans talent particulier, il se démène pour essayer de créer. Mais il ne compose que des copies et Mme Ôba lui souligne son manque d’identité. L’imitation ne suffit pas. Il doit trouver son art personnel, celui qui lui est propre.

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     Yatora croule sous le travail. De 4h de dessin par jour, il passe à 12h. Il décline mais persévère, envers et contre tout. Il assiste à toutes sortes de réactions chez ses camarades durant les examens. Maki lui parle d’un type en train de danser tandis qu’une fille poussait des cris d’oiseau. Ça m’a rappelé mon concours d’entrée de l’ERAC, j’ai pu observer toutes sortes de comportements extrêmement originaux…

     En tant que spectateurs, on découvre tellement de choses au sein de ce cursus scolaire. Comme le fait que ces pauvres étudiants doivent grimper avec leur matériel sur 8 étages. Celui de Yatora pèse 10kilos… Vraiment, je le plains… Les réactions de ses camarades sont très vivantes. Maki notamment. Après l’avoir aidé à trimballer son matériel et morigéné vertement, elle part en courant en le laissant à son sort. Parce qu’elle doit déjà gérer son propre stress. Je dirais même terreur à son niveau. Haruka reste égal à lui-même. Il est très… bizarre… Mais dans le fond, les mots « bizarre, marginal, à part » et j’en passe ; sont notre apanage. Dès que l’on pense, ressent autrement, on se fait cataloguer automatiquement.

Ellipses

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     Tous les personnages sont travaillés, l’anime a été peaufiné, tout est là pour embarquer. Toutefois… Je déplore beaucoup trop d’ellipses. On commence l’anime pour biffer plusieurs mois d’un seul coup. À peine on atterrit dans la trame suivante que de nouveaux bonds temporels nous perdent aussitôt. Je voulais savoir ce que Yatora vivait petit à petit. Son évolution en tant qu’artiste, pas à pas. En quelques jours, on peut vivre beaucoup de choses, alors en

quelques mois… Les années passent trop vite dans cet anime. C’est frustrant. Bien sûr, on comprend sans que cela nuise à la cohérence globale, mais la manière dont c’est présenté donne un sentiment de flou… qui n’est pas artistique pour le coup.

     Les OST collent bien, plutôt discrètes pour beaucoup d’entre elles. Visuellement, c’est sympathique, mais c’est surtout au niveau des tableaux que ça éblouit. L’inventivité, la composition… C’est superbe. On ne reste pas sur un style manga standard. Chaque tableau amène son propre univers.

     Je tiens à saluer tout particulièrement le doublage VF. Gabriel Bismuth-Bienaimé est exceptionnel dans le rôle de Yatora, soyons honnêtes. Sara Chambin a l’inflexion parfaite pour doubler Ryuji, à la fois douce et grave. Quand la VF est bonne, je me permets de profiter pleinement en reposant mes yeux, sans besoin de lire les sous-titres (vous n’imaginez pas combien d’heures je travaille par jour…). Ici, la VF est excellente, les comédiens sont réellement investis, ce qui magnifie d’autant plus cet anime.