1984… Et dire que je vais présentement chroniquer le livre qui a sans doute le plus changé ma vision du monde. Je dois dire que m’attaquer à un tel morceau n’est pas de tout repos, et que c’est avec un certain recul que je me lance dans cette rédaction.

    Car si l’ouvrage est indubitablement un chef-d’œuvre intemporel et poignant, il n’en est pas pour autant exempt de défauts.

     Mais qu’importe ! Il faut parfois prendre son courage à deux mains et braver les futurs commentaires haineux de lecteurs pédants et autocrates. Oui les gars, vous êtes un peu mon Big Brother personnel.

    Si je devais parler de 1984 d’un point de vue vraiment personnel et subjectif, je ne pourrais qu’être dithyrambique à son égard. J’ai découvert le livre durant mes années de lycée, sous l’impulsion d’une prof d’anglais dont j’ai oublié jusqu’au nom. Non, pas dans le cadre d’une lecture scolaire… mais plutôt d’une colle. Eh oui, j’étais un cancre. Mais un cancre avec une sacrée maîtrise de l’anglais. Et c’est dans la langue de Shakespeare que je l’ai découvert pour la première fois. 

    Bien entendu, ce ne fut pas ma seule lecture d’Orwell, ni même la seule fois que j’ai découvert cet ouvrage. 

Ne jamais tourner le dos au danger

     1984 situe son action en… 1984. Oui, jusque-là, il faut admettre qu’Orwell a choisi un titre qui colle parfaitement à son œuvre. 

     Dans cette dystopie post-apocalyptique (ou presque), le monde s’est retrouvé séparé en trois blocs après une guerre nucléaire. Winston Smith, employé de 39 ans à la santé fragile, ne parvient plus à adhérer aux mensonges du Parti.

     Par quelques truchements, il va se retrouver embarqué dans une histoire de rébellion, de révolte contre un système totalitaire, sur fond de romance.

     Oui, je sais… ce résumé retire toute la substance de l’œuvre. Mais, c’est volontairement que je reste le plus flou possible, afin de laisser le loisir à ceux qui ne l’auraient pas encore lu de le découvrir dans les meilleures conditions.

     Sur un plan purement narratif, 1984 ne brille pas par son excellence. Comme dans la plupart des autres œuvres d’Orwell, c’est le sous-texte qui rend l’ouvrage si puissant, si impactant.

     Car, que ce soit structurellement ou scénaristiquement, 1984 se révèle très, très lent. Son rythme est continuellement haché par les pérégrinations molles et vaines de ses protagonistes principaux, par des dialogues qui s’éternisent ou des descriptions interminables.

     Eh oui, j’ose le dire : 1984 a mal vieilli. Outre ses personnages caricaturaux, il nous offre une dystopie assez risible au regard des standards actuels. Au mieux, pour quiconque n’en comprend pas les messages pourtant évidents, se dit-on être là devant de la S.F. certes agréable, mais guère transcendante.

     En cause : avant tout un héros pathétique, qui ne parvient jamais à se libérer réellement du carcan de sa propre médiocrité. N’espérez ni n’attendez aucune réelle scène d’action ni de soulèvement majeur. Aucun retournement de situation ne viendra non plus happer le lecteur. Pis encore, on réalise avec une certaine amertume, une fois le livre terminé, que Winston n’a pas évolué… pour ne pas dire régresser.

       De même, la structure littéraire de l’ouvrage est très consensuelle. 1984 se découpe aisément en trois actes et colle à tous les canons d’une écriture scolaire aujourd’hui si désuète. 

     Et je vous invite déjà à retenir vos petits doigts enragés avant de poster tout commentaire haineux. Je n’ai même pas encore réellement commencé à parler du plus important.

Une œuvre visionnaire et intemporelle

     Ce livre… a changé ma vie, ma vision du monde, ma manière de penser, d’être, de vivre… Il m’a transfiguré, plus encore qu’aucun autre.

    Car, sous ses faux airs de S.F. dystopique bas de gamme, 1984 est avant tout un pamphlet contre le pouvoir, une ode à l’anarchie, le cri du cœur d’un homme avide de liberté.

    Orwell nous ouvre les yeux sur des vérités qui dérangent, sur un monde moderne vicié et parasité, où la démocratie a fait place à une oligarchie pataude et vénale ; brandissant sous ses faux airs d’utopie le drapeau d’un esclavage moderne.

    Malgré une sortie au début des années 50, il est toujours terriblement d’actualité et chacun de ses enseignements offre une lecture cynique de notre quotidien. Et il est terriblement percutant de réaliser qu’en 70 ans, rien n’a réellement changé. Seulement la forme et les outils de manipulation.

    Mais reprenons avec plus de précisions. Dans ce monde divisé en trois blocs et soumis à une guerre éternelle, les habitants d’Eurasie vivent sous l’égide d’une dictature totalitaire représentée par la figure de Big Brother, caricature à peine voilée d’un Staline déifié et omniprésent.

    Ici, chaque aspect de la vie des concitoyens est surveillé, jusque dans leur intimité. Les caméras sont partout, les tables d’écoute tournent en continu. Pourquoi les gens acceptent cela sans broncher ? Ouvrez n’importe quel journal, écoutez vos voisins ou vos collègues à la machine à café ; et vous aurez la réponse : “Si t’as rien à te reprocher, y’a pas de soucis”.

    C’est sous ce prétexte qu’une société ultra répressive s’est mise en place (je parle toujours de l’histoire fictive du livre. Toutes ressemblances avec d’éventuels ministres de l’intérieur modernes ou décisions politiques actuelles sont totalement fortuites. Absolument rien dans la “loi de sécurité globale préservant les libertés” n’est à mettre en parallèle avec ce qui est décrit ici).

    De même, la manipulation de la pensée y est développée par la réécriture des faits historiques, même récents, pour coller à un narratif d’état glorifiant le bloc Eurasien (idem, n’y voyez aucune ressemblance avec des événements récents : absolument personne, pas même un certain président jeune et dynamique, ne disait il y a encore deux ans qu’un hypothétique président russe était un grand démocrate, non. Ces déclarations n’ont jamais existé).

    Enfin, la langue est simplifiée à l’extrême afin d’empêcher toute pensée complexe ou envie de révolte. De nouveaux mots apparaissent, remplaçant la puissance historique des anciens (encore une fois, toute ressemblance bla bla bla).

    Et c’est dans ce monde parfait qu’évoluent des individus qui, pour la plupart, sont heureux de leur quotidien. Ils travaillent, sont utiles à la société, s’intègrent parfaitement au discours le plus nauséabond.  Mais certains, que l’on pourrait aisément qualifier de “complotistes” aujourd’hui, décident de se révolter contre le pouvoir en place. 

    Malheureusement pour eux, trop peu nombreux et sous-armés pour réellement faire une quelconque différence ; leurs actions sont, au mieux, classifiées comme du terrorisme (pas d’écoterrorisme, le livre demeure tout de même réaliste, hein), et ils sont traqués, emprisonnés et « soignés » pour chasser leurs déviances.

    Toute l’intrigue suit donc Winston qui, pour une raison évidente, ne parvient pas du tout à adhérer à la doctrine du Parti : il travaille au Ministère de la Vérité, son activité principale consistant à falsifier les documents pour faire coller l’histoire aux dires du Parti. Il est donc en première ligne pour découvrir les mensonges et les implications de ces derniers.

    Mais son quotidien change subitement le jour où il rencontre Julia, une révolutionnaire de qui il s’éprend. Il décide donc de tenter le tout pour le tout en rejoignant la rébellion, mais comprend rapidement que ses actions sont inutiles. En face, le Parti est en marche pour annihiler toute forme de révolte. Trop puissant, soutenu par la population (et surtout par les élites), ce dernier ne laisse aucune chance à ses opposants.

    Chaque passage, sous ses faux airs de roman de gare assez moyen, nous livre pourtant un apprentissage essentiel pour mieux affronter le quotidien. Orwell a eu l’intelligence, par le truchement de ses idées, de nous illustrer les principales techniques de manipulation de masse.

    Le lecteur attentif fera indubitablement un parallèle avec “Le Bouc Émissaire” de René Girard, pourtant sorti 30 ans plus tard, qui nous délivre également un message fort sur la manière de corrompre l’esprit par la figure d’un mal unique.

    Et je… j’ai la plus grande peine à vous parler plus avant de 1984 sans entrer dans un parallèle dangereux avec le monde moderne. Aussi, ne saurais-je que trop vous conseiller de le lire par vous-même et de mettre en parallèle ses événements avec ce que nous vivons depuis ces 40 dernières années. 

RETROUVEZ-NOUS SUR :