Nous traverserons des orages est une saga familiale qui s’étale sur 4 générations. Elle démarre en 1914 avec les enfants de Cytise, le patriarche de la famille Balaguère. Ce sont des agriculteurs qui entretiennent Les Chaumes, un lieu assez grand qui implique leur maison, la ferme et le bétail. Le fils aîné se prénomme Anzême, il est marié à Clairette. Quant au second, Marty, il a l’esprit dérangé. Il commet des actes insensés et envisage de se débarrasser de son frère pour s’approprier son épouse. Finalement, la guerre contraint Anzême à quitter Les Chaumes. Marty en profite pour trousser sa belle-sœur et l’engrosser.

Cytise surprend son fils devant la chambre de sa bru. Il s’en va, profondément heurté, en songeant à parler à ce fils très décevant qui commet idiotie sur idiotie. Marty, embarrassé, pense qu’il doit se débarrasser de son père pour maintenir le secret et conserver son petit paradis. Mais Cytise est un solide fermier, lorsque Marty l’agresse, la bagarre tourne au drame. Le couteau finit dans le ventre du jeune homme et il meurt dans le Creux du Renard, une zone rocailleuse qui mène chez le médecin.

Des générations de souffrance

Le tableau qui nous est dépeint ici est le commencement de toutes ces tragédies répétées. Du moins, le commencement en détricotant les histoires qui ont été transmises au sein de la famille Balaguère. Car je ne doute pas que les ancêtres de Cytise ont également enduré d’autres souffrances. Mais, Olivier étant le protagoniste principal de ce roman, il remonte jusqu’à son arrière-grand-père, Cytise, pour expliquer comment la violence a jalonné le Destin de sa famille.

Chaque génération souffre, endure le deuil, la virulence, voire la maladie. Les Balaguère connaissent bien des tourments et se les transmettent comme un gène inéluctable.

Pendant ce temps, Anzême découvre l’horreur des tranchées, des corps explosés sous les rafales de balles ; il finit traumatisé, avec un bras invalide. Ses

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amis meurent comme des chiens, il se réfugie dans ses souvenirs heureux pour tenir dans cette épreuve qui n’en finit pas.

Quand il retourne aux Chaumes, Anzême découvre que son frère n’est plus là. La famille est incapable de lui révéler que son père a poignardé Marty par accident. Tous les trois préfèrent lui mentir en prétendant que Marty a décidé de s’engager pour suivre ses traces. Et Clairette lui fait croire que l’enfant qu’elle attend est le sien.

L’enfant de Clairette et de Marty se nomme Charme. Parce que chaque membre de la famille Balaguère porte un nom de végétal.

Avec le temps, Anzême sombre dans l’alcoolisme. Les révélations l’ont ruiné et Charme ressemble beaucoup à son frère, ce qui lui rappelle sans cesse l’adultère (pourtant non consenti) de son épouse. Il finit même par la battre et c’est dans cette triste ambiance que Charme grandit, convaincu qu’il ne finira jamais comme ce père qu’il déteste. Mais certains schémas se répètent… Tandis que son père a perdu un bras à la guerre, sa jambe finit ruinée suite à un coup de feu. Hélas, les secrets s’accumulent et détruisent les Balaguère, de génération en génération… Tant de non-dits qui, s’ils avaient su franchir les lèvres, auraient pu amender leur avenir.

Olivier Balaguère

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Le fils de Charme se prénomme Aloès. C’est un rêveur qui passe sa vie à lire, opprimé par ses camarades. Son père le tient responsable de son accident, et même si ce n’est pas vrai, l’enfant n’a pas su lui dire la vérité.

Il grandit, éprouve de l’amour pour son Professeur, Daniel. Son homosexualité doit être muselée dans cette Société qui la considère comme une maladie mentale et la condamne lourdement. Aloès fait la guerre d’Algérie. Les horreurs le transfigurent complètement. Le doux rêveur meurt là-bas et c’est une coquille vide qui revient en France. Il épouse Christiane pour faire croire qu’il aime les femmes. Toutefois, les gens jasent. 3 ans de mariage et toujours pas d’enfant ? Bien que tous les deux n’en aient aucune envie, ils passent à l’acte pour faire taire les rumeurs. Leur union n’a rien d’idyllique puisqu’elle est forcée, pour respecter ces fichues convenances…

D’autres tragédies surviennent, dont une en particulier. Puis, la scission du roman arrive. Après avoir suivi 3 hommes différents (Cytise figurant en arrière-plan), c’est au tour d’Olivier, le fils d’Aloès, d’écrire sa propre histoire. Dès le début du roman, il s’adresse à son propre fils, Saule, en retraçant la vie de ses ancêtres. Les passages en italique entre certains Chapitres nous rappellent que c’est bien lui le héros de l’histoire ; qu’il s’est documenté pour livrer ce récit aussi fidèlement que possible. Les Chapitres sont très courts, 3-4 pages en moyenne.

La démarche d’Olivier consiste à comprendre la violence qui pulse dans les veines de sa famille. Voilà pourquoi il a choisi de remonter jusqu’à Anzême et Marty, pour connaître les répercussions des drames de cette époque sur les générations suivantes, et ainsi de suite. Il faut attendre la quatrième partie du roman, page 285 (édition non définitive pour ce Service Presse) pour qu’Olivier s’approprie l’histoire et nous l’écrive au Je, en l’an 1973. Un enfant qui ne comble pas les attentes de sa famille, qui espérait avoir une fille, pour éponger sa détresse…

 De la page 285 à 529, Olivier nous livre sa vie. Celui d’un enfant qui grandit sans son père, qui préfère jouir de sa liberté à Paris où il espère ne plus avoir à cacher ses penchants. Son fils n’a pas de place dans son existence délétère. Puis il y a la mère d’Olivier, Christiane, très déçue, enfermée dans son deuil et sa déception.

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Olivier grandit, qualifié de « fils de pédé », de plouc issu de la campagne. Il espère connaître une vie meilleure à Paris, y réussir ses études. Connaître ce père absent. Et surtout, rester auprès d’Ariane, son amour d’enfance.

Un roman intergénérationnel

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Nous traverserons des orages est un énorme pavé (+ de 530 pages au format que j’ai reçu pour ce Service Presse). Malgré la quantité, la qualité reste au rendez-vous, la plume est toujours fluide. Ce SP n’ayant pas été corrigé, j’ai relevé des coquilles, mais ça ne m’a pas dérangée outre mesure.

C’est un roman poignant, intergénérationnel, qui s’axe avant tout sur les non-dits des protagonistes masculins. Tout ce poids qui les accable, ne pas avoir le droit de pleurer parce que ce sont des hommes, quelle stupidité crasse ! Hélas, l’époque implantait cette idée absurde, alors que tout être vivant doit exprimer ses émotions.

J’ai trouvé ce roman triste et émouvant. Avec une pincée d’espoir sur la fin, ce fameux Saule qu’on ne voit pas mais qu’on devine. Le futur qui les attend est

incertain, mais grâce à l’introspection d’Olivier, leur relation sera certainement plus épanouie.

Nous traverserons des orages d’Anne-Laure Bondoux paraîtra le 28 Septembre aux Éditions Gallimard Jeunesse.