Édito de Farrel

     Il y a quelques jours, le tout dernier opus de la saga désormais culte Zelda est sorti. Intitulé « Tears of the Kingdom », il se fait encenser par la presse autant que par les joueurs. Cependant, c’est une autre actualité qui a particulièrement attiré mon attention.

     Partagée sur Twitter par l’utilisateur ZAKUYA (@zakuya_botw), une vidéo montre ce dernier construisant un mannequin de bois doté d’un gigantesque phallus, grâce aux divers pouvoirs de Link, avant d’allumer le bout de ce braquemart érubescent à l’aide d’une flèche de feu.

     Il n’a alors pas fallu longtemps avant que de nombreuses vidéos du même acabit ne voient le jour, jusqu’à ce que même la presse spécialisée s’y mette, retouchant la publicité officielle du titre pour y ajouter l’une de ces fameuses vidéos.

     Pourquoi cela me gêne-t-il ? N’ai-je donc plus aucun humour ? Suis-je devenu un être acariâtre et dénué de toute fantaisie ? Peut-être. Mais il est grand temps de faire un point exhaustif sur une mode qui ruine totalement toute la crédibilité du médium et, pire encore, de sa communauté.

Couvrez ce sexe que je ne saurais voir

     Depuis quelques années, on voit régulièrement ressurgir, sous forme de communication plus ou moins bien menée, des studios faisant la part belle à leur prétendue subversivité en mettant en avant les attributs de leurs protagonistes.

     De The Witcher 3 et ses scènes plus qu’explicites en passant par Conan: Exiles

et sa physique particulièrement travaillée du pénis du héros, jusqu’à plus récemment Cyberpunk 2077 et ses (trop) nombreux sextoys écumant le jeu ; la représentation du sexe masculin dans le jeu vidéo semble être devenue une norme.

     Mais pourquoi ? Dans quel but ?

     Comme mentionné précédemment, il y a bien sûr la recherche de la subversivité, l’envie de montrer son œuvre comme étant hors des codes, plus mature et loin de l’image familiale que certains aimeraient donner au médium. Eh bien oui mes bons amis, le jeu vidéo est aussi et surtout pour les adultes. Et quoi de mieux pour le démontrer qu’un ithyphalle saillant aussi dur que de l’acier ?

     Certes, d’aucuns pourraient le comprendre. Mais en arriver à construire des golems avec un phallus taquin dans Tears of the Kingdom ?

     Rappelons à toutes fins utiles que, lors de l’âge d’or, c’était l’une des critiques les plus courantes envers le médium : trop de jeux orientés vers le sexe, trop de productions minimalistes et sans autre but que de montrer des organes reproducteurs afin de vendre aux plus désemparés un peu de rêve pixelisé.

     S’il y a toujours eu une trame de fond d’hypersexualisation dans certains

titres, aujourd’hui il est devenu excessivement commun d’en voir partout, tout le temps, sans raison apparente.

     Mais au moins, durant une longue période, nous étions totalement épargnés par des représentations trop explicites. Mass Effect permettait certes de passer du bon temps avec la moitié de la galaxie, mais avait la pudeur et la décence de passer par un fondu au noir. Même les divers GTA, qui ont pourtant fait couler beaucoup d’encre à ce propos, n’ont jamais franchi cette limite.

     Alors, je sais, j’entends déjà les commentaires me disant : « Tu ne comprends rien », ou encore « C’est juste pour s’amuser », voire « C’est rien, faut se détendre ». Mais non, c’est un sujet qui, contrairement à ce que vous pourriez penser, est aujourd’hui majeur et décrédibilise totalement l’industrie ; au point d’empêcher tout changement de mentalité à son endroit.

     Comprenez une chose cependant : développeurs et éditeurs de premier ordre offrent aux joueurs ce qu’ils achètent le plus, non ce qu’ils estiment être artistique. Si une levée de boucliers s’était dressée contre Conan: Exiles, jamais nous n’aurions eu droit à la même chose dans Cyberpunk 2077. Et ce pour une raison simple : dans les deux titres, cette « fonctionnalité » ne sert strictement à rien, jamais, à aucun point de l’aventure. C’est du temps que les développeurs

ont pris pour satisfaire les fantasmes et les exubérances de quelques frustrés du bout, quitte à en perdre ailleurs (sur la correction de bugs, entre autres).

     Ce qui naguère était réservé à quelques obscurs mods créés par des fans que l’on regardait d’un œil circonspect est aujourd’hui, par ce fait, devenu une pratique courante… qui sert entre autres à justifier la hausse des prix.

     Oui, j’ose aller jusque-là. Chaque minute passée sur le développement d’un jeu a un coût, ensuite répercuté dans les étals de nos marchands. Nous vivons littéralement à une époque où les prix exorbitants des jeux se justifient par « Il faut plus de travail, donc il faut vendre plus cher ».

     Plus cher… pour voir un chibre vaciller ? Dans un FPS ? Ou le héros porte continuellement un pantalon ? Peut-être est-il temps de revoir nos priorités et nos exigences.

Ouvrez vos chakras, ça va piquer.

     Combien d’entre vous sont prêts à défendre bec et ongles le jeu vidéo comme un art à part entière ? Combien tentent, lors des repas de famille ou avec leurs amis, de convaincre les plus sceptiques que ce médium est aussi important et profond que le cinéma ou la littérature ?

     Combien s’époumonent à critiquer ouvertement les journalistes et autres

médias de presse osant définir le médium tout entier comme un « passe-temps d’adolescent attardé » ?

     Et vous avez des arguments de valeur en citant tantôt Ico, tantôt Flowers, prônant la profondeur de la narration de certains RPG, ajoutant sans ciller que le jeu vidéo est l’art ultime, combinaison de tous les autres avec cette composante unique et personnelle qu’est le gameplay.

     Et vous avez raison.

     Mais comment donner tort aux détracteurs du médium lorsque, parallèlement à ces explications de fort bon aloi, vous vous gaussez tels des adolescents décérébrés devant la présence d’un chibre ou vous pâmez devant la plastique d’un membre qui flotte dans l’eau ? Que vous dessinez ou construisez, comme si vous aviez encore 14 ans, des chibres à l’aide de vos balles sur Call of Duty ou de vos blocs dans Minecraft ?

     Ou pire encore, quand vous dénaturez le chef-d’œuvre qu’est Tears of the Kingdom via ce genre de créations phalliques, que ce soit en les assemblant vous-même, en les cautionnant, en les partageant et ainsi les validant tacitement ?

     Le ridicule de la situation devrait vous porter à réfléchir et à assumer les

conséquences de ces actes que vous jugez, pourtant, sans conséquences. Car oui, il y en a.

     Mettez-vous à la place d’une personne étrangère à ce milieu, du quadragénaire bedonnant ne jurant que par le sport, jusqu’au chef d’entreprise n’ayant guère de temps à consacrer à ces délires enfantins. Sans oublier, bien entendu, le journaliste de bonne famille ayant pour auditoire trois ou quatre millions de personnes chaque jour. Ces gens-là sont convaincus que le médium n’est guère plus qu’un jouet comme un autre, ils ne chercheront jamais à faire l’effort intellectuel pour creuser plus profondément ; vous leur affichez seulement une image bien triste de ce dont est capable l’univers si complexe du jeu vidéo.

     Et les créations, et les œuvres d’art, et les scénarios profonds s’éclipsent devant de glorieux priapes, face au fléau d’une trique de rondin ou la vibration lubrique d’un lingam de plastique.

     Vous me rétorquerez peut-être qu’il n’y a pas que cela, que c’est à eux de faire l’effort de se renseigner. Mais, au fond de vous, vous savez très bien que ce ne sera guère le cas. C’est dans la nature de l’homme, surtout à notre époque, d’accepter tout ce fiel craché par les gens d’autorité pour peu qu’ils soient filmés. Nous en sommes tous conscients. Internet nous le rappelle chaque jour.

     Alors, lorsqu’un éditorialiste ou un journaliste va se connecter pour la trentième fois de la journée sur Twitter et voir apparaître dans son fil ou en TT les créations libidineuses des phallophores modernes ; que pensez-vous qu’il se passera ? Exactement. Cette tendance pourtant anodine viendra remplir les plateaux et les JT, les feuilles de chou autant que les blogs ; jusqu’à ce que les qualités intrinsèques de l’œuvre en question soient totalement éclipsées

pour une masse qui se refuse à tout effort cognitif.

     Mais pire encore est de constater toute l’inanité de la presse spécialisée, se jetant tels des vautours sur les restes d’un cadavre encore frais pour partager massivement ce genre de dérives sans jamais les remettre en question, simplement appâtée par le buzz immédiat et le clic rapide.

     Gameblog, Hitek, IGN, TheGamer, GamesRadar. Autant de sites qui n’ont pas attendu ni pris le temps de la réflexion avant de se ruer à corps perdu pour propager cet humour si décapant, désopilant et mature. Juste pour quelques clics de plus.

     Et la prochaine fois qu’un éditorialiste viendra expliquer, sur un plateau durant une heure de grande écoute, que « Le jeu vidéo est un médium immonde, sexiste, machiste, lubrique et violent », comment pourrez-vous leur donner tort, alors que même ceux qui sont censés représenter notre presse valident ces comportements libidineux ?

     Pourtant, et là sera ma conclusion à destination de ces gens : les jeux vidéo ne sont pas « débiles ». Ce sont ces joueurs-là qui le sont, incapables de comprendre que pour changer la donne, il suffirait qu’ils rejettent ce genre d’allusions, se parent de bonnes intentions, mettent plus en avant les qualités intrinsèques des titres plutôt que de s’amuser tels des ados en pleine découverte de leur puberté (plus précisément de leur verge).

     Et si vraiment vous ne pouvez pas vous empêcher de vous amuser face à ce genre d’inanités, au moins ne les partagez pas massivement sur les réseaux sociaux. Ayez l’intelligence, que dis-je, la sagacité nécessaire pour comprendre que, certes, vous allez faire rire quelques oligophrènes prépubères ; mais que votre comportement coûtera plus encore et sur le long terme à l’ensemble de l’industrie. Car Internet n’oublie jamais.

     Le jeu vidéo est un Art à part entière. Le défendre et en faire la promotion est notre crédo, surtout à une époque où la désinformation est partout et ses antagonistes bien présents, plus forts que jamais. Mais pour cette fois, je vais leur donner raison.

     N’oubliez jamais que chacun d’entre nous a une responsabilité dans la vision qu’a la société du jeu vidéo. Si nous mettons en avant de réelles œuvres, des créateurs de talent, des jeux uniques qui réfléchissent sur la grammaire propre au médium ; alors nous pouvons faire changer les mentalités. Mais si au contraire nous cautionnons, même via un simple « like » ou un partage, des comportements débilitants, immatures ou toxiques ; c’est ainsi que la société le percevra.