Il y a près de trois décennies, Nintendo et Squaresoft signaient une alliance inattendue pour enfanter un objet vidéoludique étrange et précieux : Super Mario RPG: Legend of the Seven Stars. Sorti en 1996 sur Super Nintendo aux États-Unis et au Japon, le jeu ne franchit jamais les frontières européennes, condamné à rester un souvenir d’import pour les joueurs curieux. À une époque où Mario régnait en maître sur la plateforme, cette incursion dans le monde du RPG au tour par tour représentait un pari audacieux. Avec le savoir-faire narratif de Squaresoft, hérité de Final Fantasy VI et Chrono Trigger, et l’univers coloré du Royaume Champignon, le résultat fut aussi déconcertant qu’enchanteur.
En novembre 2023, Super Mario RPG renaît enfin en Europe, sous la forme d’un remake complet pour Nintendo Switch. Nouvelles cinématiques, refonte graphique, traduction intégrale en français : tout est réuni pour faire briller à nouveau cet OVNI ludique. Mais dans un paysage vidéoludique saturé de relectures maladroites et de nostalgies galvaudées, ce retour tient-il de la redite ou de la révélation ?
Des champignons, des étoiles et des secrets enfouis
L’histoire de Super Mario RPG débute comme une routine bien huilée : Bowser kidnappe Peach, Mario vole à son secours, le château tremble sous les coups. Mais ce canevas familier se fissure rapidement, lorsque Forgeroi — entité métallique surgie de nulle part — s’empare du trône et ouvre une brèche vers un monde parallèle peuplé de lames célestes et de monstres forgés dans l’acier. L’enjeu dépasse alors la simple capture de la princesse : c’est le Royaume Champignon tout entier qui vacille, et le plombier moustachu doit s’entourer d’alliés pour en déjouer la chute.
Si la trame principale conserve une structure linéaire et accessible, elle s’autorise des digressions étonnamment riches. L’humour absurde propre à la série cohabite avec une mise en scène plus posée, ponctuée de moments de tendresse et d’étrangeté. Les dialogues, simples mais bien rythmés, alternent les clins d’œil ludiques et les ruptures de ton savoureuses. En cela, le jeu reste profondément marqué par la patte Squaresoft : derrière les sourires se cache toujours une ombre.
Le grand plaisir vient aussi des nouveaux venus. Mallow, nuage mélancolique à la recherche de ses origines, ou Geno, marionnette possédée par un esprit stellaire, incarnent une fantaisie typiquement nippone qui s’intègre avec grâce à l’univers Mario. Ces personnages ne se contentent pas d’apparaître : ils existent, interagissent, prennent part à une quête collective dont ils épousent les enjeux avec une sincérité surprenante. Leur écriture reste modeste mais juste, et leur présence confère à l’épopée une couleur singulière, ni tout à fait Mario, ni tout à fait Final Fantasy.
Surtout, pour la première fois, l’ensemble du jeu bénéficie d’une localisation française complète. Un détail ? Non. Cette traduction offre une redécouverte totale de chaque échange, chaque situation cocasse, chaque subtilité narrative — et ancre définitivement Super Mario RPG dans le paysage culturel européen qu’il avait, jusqu’ici, manqué d’habiter.
Des tuyaux, des fleurs et des baffes bien placées
La structure de Super Mario RPG repose sur une progression segmentée, inspirée des jeux de plateforme de l’ère 16 bits. La carte du monde reprend l’esthétique de Super Mario Bros. 3, avec ses routes fixes, ses niveaux verrouillés, ses biomes variés et ses points d’accès soigneusement délimités. Ce format hérité de la Super Nintendo conserve une efficacité redoutable : chaque zone raconte une histoire, propose un gameplay distinct et s’inscrit dans une boucle claire où l’exploration, les dialogues et les combats s’enchaînent sans jamais étirer inutilement la durée.
L’univers traversé multiplie les surprises : déserts brûlants, marécages lunaires, canalisations sinueuses ou forteresses volantes, chaque décor renferme ses propres pièges et ses propres règles. Mais là où le jeu excelle, c’est dans sa capacité à injecter de la variété là où l’on attendait une simple rétrospective. Mini-jeux, séquences de plateforme, énigmes légères, affrontements alternatifs… chaque région introduit ses mécaniques propres, brisant la monotonie sans jamais diluer le rythme.
Le système de combat, en revanche, reste la pièce maîtresse. Loin d’un RPG purement passif, Super Mario RPG injecte dans chaque affrontement une dimension active. En appuyant sur la bonne touche au moment exact, vous infligez un coup critique ou réduisez les dégâts subis. Ce timing précis, hérité des expérimentations de Squaresoft, donne du corps aux combats les plus simples et sublime les joutes contre les boss. Le jeu vous pousse à rester engagé, à observer, à réagir : c’est un RPG qui ne s’endort jamais sur ses routines.
L’utilisation partagée des points de magie — ici représentés par une jauge de fleurs — impose une lecture stratégique constante. L’économie de ces ressources devient vite cruciale : chaque sort utilisé est une décision lourde de conséquences. Frapper fort ? Soigner à temps ? Économiser pour l’inconnu ? Ce système minimaliste, en apparence, regorge d’une finesse insoupçonnée.
La montée en niveau, elle aussi, sort des sentiers battus. À chaque palier, vous choisissez entre plusieurs types d’améliorations : force brute, magie ou vitalité. Ce choix simple permet de sculpter votre équipe selon vos préférences et votre façon d’aborder les combats. Le résultat : une construction d’équipe personnalisée, lisible et gratifiante, qui confère à chaque partie une saveur légèrement différente.
À aucun moment le jeu ne cherche à noyer le joueur sous des systèmes trop complexes. Il préfère l’élégance des mécaniques bien rodées, la limpidité des interfaces et la souplesse d’une difficulté ajustable. Derrière son accessibilité apparente, Super Mario RPG propose une profondeur suffisante pour stimuler la réflexion sans jamais briser le plaisir immédiat.
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