Sur les hauteurs d’un trône sans royaume, Summum Aeterna avance masqué, auréolé de promesses tonitruantes et d’une communication grandiloquente. Préquelle directe du metroidvania Aeterna Noctis, cette nouvelle proposition du studio espagnol Aeternum Game Studios revendique sans détour son ambition : redéfinir les contours du roguelite, rien de moins. À en croire ses créateurs, nous serions même face au « meilleur du genre ».
Mais derrière la verve, la poussière. Car si le titre revendique l’éternité dès son nom, il se heurte à une réalité bien plus volatile : celle d’un jeu qui cherche à impressionner sans jamais convaincre, qui invoque la profondeur tout en sombrant dans ses propres ténèbres conceptuelles.
Sorti dans l’ombre de son aîné, Summum Aeterna s’habille des restes d’un univers déjà codifié, s’adresse d’emblée aux initiés, et ferme la porte à ceux qui s’aventureraient sans invitation. Un roguelite à l’ADN métaphysique, mais au squelette de papier. L’intention est là, surlignée, martelée, répétée jusqu’à l’asphyxie. Mais la magie, elle, se refuse à paraître.
Et quand la graine est viciée dès l’origine, que peut bien donner la floraison ?
La nuit sans nom, l’histoire sans clef
Dans Summum Aeterna, vous incarnez un roi. Un souverain des ténèbres, figé dans l’écho d’un monde ancien, qui s’apprête à reprendre les armes à l’aube du retour de la Reine de la Lumière. Le duel semble ancestral, le conflit cyclique, les enjeux cosmiques… sur le papier. Mais en jeu, tout vacille. Le récit ne se déploie pas, il s’égare. Il ne s’adresse pas à vous, il vous devance. Car Summum Aeterna n’éclaire rien de son univers, préférant s’enliser dans une mythologie fermée, impénétrable pour quiconque n’aurait pas exploré en profondeur les couloirs de Aeterna Noctis.
Pas de prologue explicite. Pas de contextualisation patiente. Le jeu jette ses noms, ses figures, ses lieux, comme des artefacts sacrés que l’on devrait vénérer d’instinct. Le Roi des Ténèbres parle. Il rumine, il menace, il prophétise. Mais ses paroles ne résonnent jamais, car elles ne s’enracinent dans aucun récit accessible. L’univers semble riche — du moins laisse-t-il cette impression fugace — mais l’écriture refuse le partage. Tout est fait pour l’initié, jamais pour l’explorateur.
Les dialogues, eux, se drapent d’une gravité forcée. Les noms propres abondent, les concepts s’entassent, et l’ensemble glisse comme de l’encre sur du marbre. Il y aurait ici matière à construire une tragédie céleste, un drame métaphysique autour de la lumière et des ombres. Mais à trop se regarder dans le miroir d’un monde qu’il ne prend jamais le temps de révéler, le jeu n’offre qu’un théâtre vide, où les rideaux tombent avant même que la pièce ne commence.
Ce Roi des Ténèbres, pourtant visuellement affirmé, n’évolue jamais. Son arc narratif n’en est pas un. Aucun compagnon marquant, aucun antagoniste véritable, aucune tension construite. Seulement des noms, des visages évanescents, des silhouettes figées dans un récit qui ne sait comment respirer. Le monde parle, mais son langage reste codé. Et le joueur, dès lors, se heurte à un univers aussi hermétique qu’arrogant.
Plus qu’une trahison narrative, Summum Aeterna donne le sentiment d’un jeu qui exclut volontairement, qui trace une frontière entre ceux qui « savent » et ceux qui ne méritent pas d’entrer. L’histoire devient alors une posture, un décor de théâtre oublié. Et le Roi des Ténèbres n’a plus rien à dire — sinon à ceux qui l’écoutaient déjà hier.
Graines mortes et terres stériles
Sous son manteau d’ombres, Summum Aeterna avance une promesse alléchante : croiser les mécaniques du roguelite et du metroidvania, générer des mondes à la volée grâce à des graines aux effets variés, et offrir un système de combat agile et nerveux. Mais ce champ de possibles s’effondre dès qu’on y pose les pieds. Car à force de vouloir tout convoquer sans hiérarchie ni précision, le jeu devient un champ stérile, où rien ne pousse réellement.
Le système de graines — pilier central du gameplay — permet de générer des niveaux en fonction de bonus, malus et mutations contextuelles. En théorie, chaque graine est unique, porteuse d’un monde aux propriétés singulières. En pratique, elles accouchent d’environnements interchangeables, aux salles vides, aux pièges mal placés, aux boucles de jeu mal rythmées. L’alchimie est rompue. La génération procédurale, censée renouveler l’expérience, uniformise tout. On navigue sans cap, sans mémoire. Chaque niveau devient une variation sans relief d’un schéma déjà vu cent fois.
Le level design, prisonnier de cette logique algorithmique, se contente d’assembler des fragments sans cohérence d’ensemble. On saute dans le vide sans savoir si la chute est maîtrisable. On explore à l’aveugle des corridors sans âme, où la répétition tient lieu d’intention. Rien ne surprend, rien ne résiste, rien ne récompense l’exploration. L’idée même de progression devient floue, brouillée par un système qui préfère l’abondance au soin.
Le Roi des Ténèbres dispose de trois armes principales : une épée, une faux et un pistolet. L’ensemble aurait pu suffire, si chaque outil avait été affûté, différencié, précis. Mais ici, les attaques manquent de poids, les impacts de lisibilité, les hitboxes de rigueur. Le sentiment de maîtrise, si central dans le genre, ne s’installe jamais vraiment. Tout semble légèrement décalé : les esquives trop lentes, les sauts trop flottants, les collisions incertaines. Le joueur ne danse pas avec l’ennemi — il trébuche, il compose à contrecœur avec des mécaniques imprécises.
Quelques idées surnagent. Des altérations de run. Des effets combinés. Un embryon de construction stratégique. Mais ces éléments ne sont jamais portés par une architecture solide. Ils dérivent dans un système trop vaste pour sa propre consistance, trop chargé pour sa propre lisibilité. Le rythme s’effondre dans les allers-retours inutiles, les couloirs morts, les salles parasites. Et lorsque la difficulté s’invite, c’est moins pour stimuler que pour compenser : un surcroît d’adversité là où le plaisir manquait déjà.
Summum Aeterna veut jouer dans la cour des grands. Il brandit des références, convoque des termes, invoque des figures de style mécaniques — mais sans jamais en comprendre la portée. Il s’accroche à une esthétique de genre, mais n’en incarne aucun.
Quand l’ombre s’écoute mais ne se voit plus
Summum Aeterna choisit l’outrance visuelle comme étendard. Des teintes saturées, des effets de lumière clinquants, des arrière-plans peints à la chaîne : le jeu revendique une direction artistique flamboyante, entre gothique baroque et fumetti numérique. Pourtant, à trop chercher l’éclat, il se noie dans un excès de détails mal canalisés, une lisibilité constamment sacrifiée sur l’autel de l’effet.
Le personnage principal, au design plutôt soigné sur les illustrations promotionnelles, se transforme à l’écran en sprite massif, omniprésent, qui occupe une portion absurde de l’espace de jeu. Cette proximité forcée avec l’action réduit le champ visuel, entrave la réactivité, empêche l’anticipation. Les ennemis surgissent à l’improviste, les pièges s’activent hors champ, et l’ensemble devient une succession de réactions hâtives plutôt qu’une chorégraphie maîtrisée.
Le travail sur les décors, bien qu’abondant, souffre d’un manque cruel de cohérence stylistique. Certaines zones affichent une architecture détaillée, presque inspirée, tandis que d’autres se perdent dans des motifs génériques, recyclés, interchangeables. L’identité visuelle se délite à mesure que l’on progresse, comme si les artistes eux-mêmes avaient perdu le fil de leur propre univers. L’effet de zoom constant, jamais ajustable, achève d’enfermer l’expérience dans un cadre trop étroit.
Côté animation, les mouvements manquent de fluidité. Les transitions sont raides, les effets spéciaux surchargés, et les attaques donnent rarement une sensation d’impact. On observe sans jamais être pleinement touché par ce qui se joue à l’écran. Le combat visuel reste distant, comme filtré par une couche de brouillard graphique.
Sur le plan sonore, le constat est plus nuancé. Les compositions musicales, bien que discrètes, parviennent parfois à poser une ambiance mélancolique, tissée de nappes électroniques ou de percussions voilées. Mais ces instants restent fugaces, étouffés par un mixage déséquilibré, où les bruitages prennent le dessus. Le rugissement des ennemis, les sons d’impact ou les effets de mort manquent de caractère, et finissent par s’inscrire dans un brouhaha sans âme.
Quant aux voix, elles brillent par leur absence. Le récit est porté par du texte, sec, abrupt, affiché dans une typographie trop petite, parfois non traduite. L’interface, en général, peine à trouver un juste équilibre entre esthétisme et ergonomie. Les menus sont fonctionnels mais ternes, les icônes peu distinctives, et l’ensemble donne une impression de travail inachevé, ou du moins précipité.
Summum Aeterna voulait briller. Il étincelle par moments, mais d’une lumière froide, artificielle, qui ne réchauffe rien. Visuellement bavard mais émotionnellement muet, il laisse une empreinte floue là où l’on attendait une gravure tranchante.
Le trône grince, mais ne s’effondre pas
À défaut de convaincre sur le fond, Summum Aeterna tente de rassurer sur la forme. Le jeu fonctionne. Il se lance sans peine, ne plante pas à la moindre attaque, et conserve une stabilité d’ensemble qui, dans le contexte de certaines productions indépendantes, peut presque sembler méritoire. Sur Nintendo Switch, les temps de chargement restent raisonnables, et aucun bug bloquant ne vient entraver la progression. Mais ce socle technique, aussi stable soit-il, ne suffit jamais à masquer les failles de conception.
Les chutes de framerate, bien qu’irrégulières, se manifestent lors de certains affrontements trop animés. La fluidité reste correcte dans les phases d’exploration, mais la lecture de l’action se trouble dès que les effets visuels s’intensifient. L’absence de paramètres graphiques adaptés à la version console rend ces fluctuations impossibles à corriger. L’ergonomie de l’interface, quant à elle, se heurte à des choix peu inspirés : textes trop petits, navigation peu intuitive, cartes illisibles, et un système de gestion d’inventaire rudimentaire, souvent contre-productif.
Le design sonore peine, lui aussi, à s’adapter aux exigences du roguelite. Aucune option de rééquilibrage entre musiques et effets, aucun outil d’accessibilité significatif. Rien n’est pensé pour affiner l’expérience ou l’adapter aux besoins du joueur. Le confort de jeu se résume à sa plus simple expression : il fonctionne… tant que vous n’en attendez rien.
Côté contenu, le système de graines procédurales, censé offrir une variété infinie, finit par s’étouffer dans sa propre redondance. La rejouabilité, sur le papier illimitée, devient un exercice de patience. L’envie de recommencer ne vient pas de la promesse d’un nouveau défi, mais de la nécessité de composer avec un système peu généreux, où la récompense tarde à émerger et ne se justifie que rarement.
Aucune fonction multijoueur, aucun leaderboard, aucun système de défi structuré ne vient renforcer la boucle de progression. L’ensemble reste solitaire, sans être introspectif, comme figé dans un entre-deux désenchanté. Et dans ce vide périphérique, l’expérience prend fin avant d’avoir réellement commencé.
Summum Aeterna aurait pu au moins briller dans la simplicité d’un système stable et accessible. Mais même cette assise vacille, rattrapée par un manque d’ergonomie, d’options, de soin final. Ce n’est pas un accident de parcours. C’est une suite de négligences, alignées sans contrepoids, qui finit par étouffer la moindre velléité de plaisir.
0 commentaires