
Test de Farrel
Stranger of Paradise: Final Fantasy Origins a été présenté à l’E3 2021 dans une incompréhension générale. Pour les 35 ans d’une licence aussi culte que renommée, de nombreux joueurs attendaient des annonces révolutionnaires. Toutefois, Square Enix en a profité pour dévoiler la bande-annonce d’un titre singulier, très éloigné des canons du genre, ce qui n’a pas manqué de susciter la colère d’une grande partie de la communauté.
Bien que cette première approche du titre n’en disait que peu, tout le monde a compris qu’il s’agissait là de l’entrée de la licence dans la cour des « Soulborne » ; comprenez par-là un jeu à la difficulté relevée, véritable « Die and Retry » avec tous les codes imposés depuis par From Software.
Après une sortie remarquée en mars 2022 sur consoles, le jeu arrive enfin sur PC. C’est l’occasion idéale pour redorer le blason d’un titre totalement incompris et qui mérite indubitablement mieux que l’accueil qui lui a été réservé.
This Is Your Story
Avant d’entrer dans le vif du sujet, Stranger Of Paradise vous accueille dans une débauche d’effets qui feront palpiter le cœur des amateurs de Final Fantasy. L’écran-titre se pare d’un magnifique artwork signé Yoshitaka Amano (le designer des jaquettes des premiers jeux de la licence, puis des logos) ainsi que d’une réinterprétation sombre et inquiétante de la musique « Prélude » présente dans chaque opus.
La Team Ninja vous prévient avant même le début de l’aventure : ils savent où ils mettent les pieds. Ils aiment la licence et en maîtrisent les codes… pour mieux les déconstruire. Il peut sembler anecdotique de s’attarder sur un simple écran d’accueil, mais pourtant, toutes les informations nécessaires pour apprécier le titre sont là, offertes à travers une simple mise en scène vidéoludique, sans besoin de longs discours ni de fan service.
Comme un contre-pied absolu à Final Fantasy 15, qui ouvre son jeu avec une chanson de Florence And The Machine, Stranger Of Paradise ose… Sinatra pour son tutoriel. Et le choix de la chanson est également chargé de sous-entendus, car c’est « My Way » qui vous accueille dans cet univers si différent.
Oui, en quelques minutes, la Team Ninja vous le dit de la plus douce des manières : « J’ai exploré toutes les routes. Mais le plus important : je l’ai fait de la manière que j’ai choisi ». Ce jeu, c’est le leur. Ce n’est pas un Final Fantasy classique, et ils comptent bien faire ce qu’ils veulent, et non ce que vous attendez d’eux.
J’insiste sur le fait qu’en quelques minutes, le message est passé à travers la mise en scène et le sous-texte, conférant déjà au titre et à son équipe de développement une ampleur digne des plus grands.
Hit the Road, Jack
Mais alors, qu’est-ce que Stranger Of Paradise exactement, pour que le studio chargé du développement vous donne tant de précisions avant même de prendre la manette en main ? N’est-ce pas un énième Final Fantasy ?
Beaucoup de choses ont été énoncées à son sujet : une réécrituredu tout premier Final Fantasy, une « darksoulisation » de la licence. Les spéculations et les interprétations
ont été nombreuses, si proches de la réalité et pourtant tellement éloignées…
Stranger Of Paradise vous propose une nouvelle version de l’origine de la saga Final Fantasy, c’est-à-dire le concept de base que vous connaissez tous : la légende des quatre héros de la lumière chargés de vaincre Chaos. Toutefois, le jeu déconstruit cette légende, s’en approprie les éléments pour se forger une identité propre, et vous offre ainsi un titre entre hommage et originalité.
Vous incarnez Jack, véritable antihéros de l’histoire, accompagné de ses fidèles compagnons. Une équipe improbable tout droit sortie d’un film d’action des années 90, se retrouvant dans la cité de Cordelia sans le moindre souvenir de son passé, tout en conservant une obsession : vaincre Chaos. Et le monde va mal. Les catastrophes naturelles s’enchaînent, les monstres attaquent… C’est ainsi que débute votre histoire, alors que le roi vous autorise, vous et vos héros, à pénétrer dans le Temple du Chaos.
Grossièrement, il s’agit d’une adaptation très classique de l’épopée des premiers Final Fantasy (quatre héros de la lumière, des cristaux à purifier, un mal à vaincre). Quiconque a joué à un RPG ces trente dernières années ne sera pas surpris par ce scénario.
Pourtant, le jeu tente de surprendre le joueur, entre révélations et subtils changements, pour se forger une ambiance et une histoire qui lui sont propres. On peut toutefois regretter que la narration ne parvienne jamais vraiment à trouver sa place entre ces deux approches : d’un côté elle est trop classique, de l’autre elle s’éloigne beaucoup des conventions habituelles du genre.
Les idées proposées par la Team Ninja foisonnent, mais elles sont mal adaptées et présentées, au risque de perdre une bonne partie de son public qui ne pourrait pas comprendre cette approche audacieuse.
Ninja Garland
Une fois le titre réellement lancé, la surprise est tout aussi grande au niveau du gameplay. Est-ce un Soulborne ? Si, tout est clairement mis en place pour vous le faire croire, si vous en avez le sentiment, le goût et l’odeur ; les différences sont trop notables pour réellement le classifier ainsi. Tout comme pour sa partie scénario, Stranger Of Paradise se cherche, essaie de combler tout le monde, sans réellement y parvenir.
Par chance, il abandonne rapidement ses doutes pour vous proposer quelque chose de bien plus en phase avec ce qu’on connaît des développeurs. Ou, pour être plus précis, à mi-chemin entre Dissidia et Ninja Gaiden. Deux licences… de la Team Ninja justement.
Comprenez par là que vous n’êtes clairement pas face à un Die and Retry à la Dark Souls. Ici, point de pièges subtilement placés pour vous prendre à revers, point de chute mortelle ni de sentiment d’impuissance face à un boss qui vous bloquera durant des heures. Non, vous êtes au contraire face à un jeu difficile. Vraiment très, très difficile ; mais qui ne vous prend jamais au dépourvu. Et tout comme dans la série susmentionnée, vous avez parfaitement la liberté de venir à bout de n’importe quel niveau du premier coup… pour peu que vous soyez bon et que vous maîtrisiez votre personnage.
C’est de facto une logique différente de tout ce que From Software vous a enseigné à la dure qui doit s’apprendre, le dernier vrai épisode de Ninja Gaiden étant sorti en 2012 ; soit à peine 1 an après le premier Dark Souls. Autant vous dire que vos habitudes de jeu ont quelque peu changé en dix ans, et qu’il est logique de se sentir perdu.
Pourtant, le gameplay et la prise en main sont vraiment un plaisir à chaque instant, vous donnant continuellement un sentiment de « j’en veux plus » et un goût de « reviens-y » des plus appréciables ; surtout quand une inattention liée à une confiance en soi boostée à bloc viendra vous laisser sur le carreau, exsangue et déboussolé.
Heureusement, la mort n’est que peu punitive : vous ne perdez pas d’expérience, ni
les objets précieusement récupérés. Rien… sinon du mana, dans une mécanique qui n’est pas sans rappeler les pires traumatismes de Dark Souls 2. Ou, pour être plus précis : plus vous mourez, plus le jeu est difficile. Heureusement, ces malus ne sont pas définitifs et il est facile de retrouver son plein potentiel, d’autant que la fin d’un niveau vient également supprimer cette perte.
Pourtant, tout n’est pas non plus tout rose au Paradis et la comparaison avec Ninja Gaiden s’impose naturellement. On commence à se souvenir de l’aisance de Ryu Hayabusa, de ses pirouettes et de ses cabrioles… pour mieux se rendre compte qu’au contraire, Jack est lourd, lent, brutal. Le gameplay s’en ressent forcément et, si les enchaînements sont plaisants, ils sont loin de ce que la Team Ninja nous a offert par le passé. On a le sentiment que le héros est pataud.
God Of Final Fantasy
Stranger Of Paradise se veut donc comme un Beat’em All exigeant et diablement difficile, mais à la structure très linéaire : pas d’Open World, très peu d’explorations. Le level design va droit au but, avec quelques rares subtilités pour créer des raccourcis souvent inutiles ou trouver des trésors cachés. Le plaisir de l’exploration n’est clairement pas là, d’autant plus que le nombre de quêtes annexes est fortement limité et construit sur le modèle de niveaux existants. Jack et ses Bro ne sont clairement pas
venus enfiler des perles. Ils sont là pour sauver le monde en cassant un maximum de bouches. Et violemment si possible.
Sans jamais renier ses origines (ni celles de Final Fantasy, ni celles de la Team Ninja), il sait vous offrir une maniabilité qui frise ce qui se fait de mieux dans le genre, à savoir le fameux « easy to learn, hard to master ». On prend rapidement ses marques : un coup faible, un coup fort, une esquive et deux parades. Ajoutez à cela une touche « compétences », et vous avez la jouabilité habituelle des jeux du genre.
N’a-t-il donc rien de plus à offrir ? Eh bien… pas vraiment.
Les subtilités du titre commencent à se montrer assez rapidement et n’arrêtent plus de s’enchaîner jusqu’à la fin. On se retrouve finalement avec pléthore de coups, de connaissances, de moyens de se défaire de ses ennemis, souvent indispensables pour avancer. Pour ne rien arranger, une jauge de « break » qui rappellera à certains les pires moments de Sekiro est également de la partie. En d’autres termes, chaque ennemi dispose d’une jauge sous sa barre de vie. Une fois celle-ci vidée, il est possible
d’effectuer un « finish move » pour l’annihiler brutalement, à la manière d’un God of War, tout en récupérant du précieux mana ainsi que plus de butin.
Eh oui, les boss disposent également de cette jauge. Tout comme dans Sekiro, on va rapidement oublier les points de vie des ennemis les plus puissants pour se concentrer sur cette dernière. Cependant, ne croyez pas que cela soit la principale mécanique de combat.
Au contraire, vous vous retrouverez rapidement dans des situations où briser cette fameuse jauge est tout simplement impossible, car ni vous ni vos compagnons ne disposez d’attaques capables de l’égratigner. Tout cela à cause… des classes.
The Dark Crystal
Tout comme dans certains opus de Final Fantasy, vous avez en effet la possibilité de changer de classe. Si vos compagnons ont des choix très limités, Jack, lui, peut toutes les maîtriser. Chacune d’entre elles dispose de son propre arbre de compétences, de ses combos uniques, de ses capacités spéciales, mais aussi de ses forces et faiblesses. On retrouve bien entendu les plus connues de la série : Guerrier, Voleur, Mages (blanc, noir et rouge), Moine, Chevalier, Paladin, etc.
La subtilité réside dans le fait que pour débloquer des classes supérieures, il faut souvent en maîtriser d’autres, ce qui vous incite à tester différents styles de jeu pour vous renforcer. Une bonne idée qui vous permet d’équiper votre personnage de deux classes en même temps et passer de l’une à l’autre d’une simple touche, même en plein combat, ce qui est souvent très utile pour continuer un combo.
Le côté stratégique doit donc être pris en compte avant de se lancer dans la bataille. Affronter le Gardien de l’Eau sans le moindre magicien rendra indubitablement le combat plus difficile. Ajoutez à cela un système de gardes parfaites, des esquives obligatoires pour les attaques puissantes et une garde magique capable d’absorber les pouvoirs de vos adversaires, et vous obtenez un gameplay nerveux et très dynamique bien que perfectible.
Worlds Of Final Fantasy
Stranger Of Paradise, ce n’est pas seulement un gameplay et une histoire. C’est aussi une direction artistique. Et nous naviguons ici en eaux troubles, entre l’inspiré et l’insipide, entre l’effet « whaou » et l’effet « pouah ».
Si le titre propose un nombre considérable d’environnements et de décors très différents, il pèche en revanche par sa maîtrise, tant au niveau technique que du level
design. À aucun moment vous n’avez le sentiment d’être devant un jeu de nouvelle génération. À aucun moment vous n’avez l’impression d’avoir entre les mains un titre sorti en 2022. Sans pour autant accuser un retard considérable par rapport aux autres productions, il est clair que l’optimisation est réellement passée au second plan. On est très loin des gros AAA.
Techniquement d’abord, vous réalisez sans peine que les animations sont robotiques, les PNJs pratiquement absents, les effets visuels en retrait. Chaque cinématique vous laisse ce désagréable sentiment d’avoir fait un bond dans le passé, bien mal dissimulé sous une Shaky-Cam ignoble. Jamais aucun décor, aucun personnage, aucune séquence ne vous colle une claque, que ce soit sur un plan purement graphique ou via la direction artistique.
Pire encore, Stranger Of Paradise n’est pas réellement optimisé pour le HDR. Très mal géré par le jeu, vous aurez la désagréable surprise, si vous disposez de cette technologie, de devoir la désactiver pour certains passages. Tout simplement.
Le level design n’est guère mieux, malheureusement. Chaque niveau se veut comme un petit donjon dont vous ne pouvez sortir sous peine de devoir le recommencer entièrement (les raccourcis ne sont pas conservés). Ainsi, une fois un certain point dépassé, il devient tout simplement impensable de le quitter. Très linéaires et dirigistes, ces niveaux ne laissent que peu de place à l’exploration et à la découverte, excepté quelques très rares salles secrètes ou passages annexes contenant généralement un ennemi puissant et un coffre. Rien de bien excitant en somme, d’autant plus qu’il va falloir aborder, en fin de ce test, un dernier point qui fâche gravement.
La Fantaisie Finale
Le leveling dans ce jeu est catastrophique. Plus tôt dans ce test, j’ai mentionné que la maîtrise de son personnage était essentielle pour réussir, et c’est vrai. Cependant, contrairement à Ninja Gaiden, vos personnages ont un niveau de puissance basé sur la moyenne de votre équipement. Si ce niveau est trop éloigné du niveau recommandé par le jeu, il est impossible de relever la mission. Peu importe votre maîtrise ou votre talent.
Le problème, c’est que régulièrement, le jeu vous mettra face à des donjons de dix niveaux supérieurs au vôtre, sans quête annexe. Que faire alors ? Oui, vous l’avez deviné : refaire les anciens donjons en boucle pour farmer, ou tenter malgré tout d’attaquer cette mission en espérant récupérer un meilleur butin avant de succomber.
La frustration dans ce type de jeu est justement ce que nous attendons tous, mais celle-ci n’est clairement pas satisfaisante et nécessite des séquences de farming trop longues pour être vraiment agréables. La satisfaction d’avoir vaincu un boss particulièrement puissant laisse rapidement place à la déception de devoir le refaire trois ou quatre fois avant de pouvoir continuer à jouer dans de bonnes conditions. Et plus vous avancez dans le jeu, plus cette réalité s’impose à vous, à un point tel que certains d’entre vous pourraient abandonner.
Quel dommage ce serait, car la plus grande force de Stranger Of Paradise, c’est son univers. Tout est là pour ravir les amateurs, les connaisseurs, les trentenaires nostalgiques comme moi, qui ont rêvé devant cette saga qui s’est imposée comme l’une des meilleures du paysage vidéoludique.
Si vous aimez vraiment Final Fantasy, vous devez jouer à Stranger Of Paradise. Chaque niveau, chaque donjon est en réalité un hommage à une zone d’un des jeux de la série principale. Redécouvrir ces endroits sous un nouvel angle, retrouver ces personnages familiers mais traités de manière différente est une source de joie.
Car, et c’est là le plus important : la Team Ninja aime sans aucun doute Final Fantasy autant que vous. Le jeu dégage une passion pour cet univers, son bestiaire, son arsenal et ses personnages. Bien qu’il ne soit pas parfait, Stranger Of Paradise a au moins cet avantage que personne ne pourra lui enlever.