Après le modeste Nova Nukers!, le studio allemand Alchemist Interactive voit plus grand. Avec Stranded Sails: Explorers of the Cursed Islands, sorti le 17 octobre 2019 sur Nintendo Switch via l’éditeur Merge Games, les développeurs abandonnent la compétition multijoueur pour tenter un mélange audacieux : aventure narrative, simulation agricole, exploration de type open map et survie insulaire. Sur le papier, une proposition rafraîchissante dans un univers de piraterie volontairement édulcoré, plus proche d’un dessin animé du dimanche matin que de Sea of Thieves.
Le ton est clair : il ne s’agit pas de faire vibrer la fibre corsaire par l’épée ou le pillage, mais bien d’organiser la vie d’un petit groupe de naufragés dans un archipel mystérieux, avec pour seule ressource… votre énergie et beaucoup de patience.
Mais alors que les intentions sont nobles et la direction thématique cohérente, la question surgit très vite : Stranded Sails a-t-il les épaules pour porter ses ambitions mécaniques ? Ou n’est-il qu’un patchwork de bonnes idées mal cousues ?
Piraterie paisible et fiction balisée
Dans Stranded Sails: Explorers of the Cursed Islands, point de canonnades, de chasses au trésor sanglantes ni de rivalités maritimes. Vous incarnez le fils (ou la fille) du capitaine Charles, rescapé d’un naufrage sur un archipel inconnu. Très vite, vous héritez de la responsabilité du groupe, votre père étant grièvement blessé, et vous devez organiser les secours, établir un campement, retrouver les membres de l’équipage et préparer l’éventuel retour vers la civilisation.
La narration, sans jamais se montrer ambitieuse, reste cohérente et fluide, avec une traduction française de qualité et un rythme globalement bien tenu. Chaque île visée correspond à une quête principale ou à une série d’objectifs, structurés avec assez de soin pour donner l’illusion d’une progression continue, même si le récit tient plus du prétexte que du moteur narratif.
Les personnages secondaires sont présents, identifiés, mais totalement fonctionnels. Aucun ne bénéficie d’un développement marqué ou d’un rôle symbolique fort. Chacun devient un réceptacle à missions, une balise de jeu ou une justification de mécanique. Le joueur, quant à lui, reste une coquille vide, sans voix ni évolution particulière, ce qui n’est pas forcément un défaut dans un jeu aussi systémique, mais qui limite tout attachement émotionnel.
L’univers proposé n’est ni menaçant ni dramatique. L’ambiance reste douce, presque enfantine, dans une piraterie très grand public, sans ombre ni aspérité. Pas de réel mystère, pas de rebondissement scénaristique fort : tout est balisé, programmé, rassurant.
Stranded Sails parvient à dérouler une trame narrative claire, accessible et bien rythmée, sans jamais surprendre ni s’aventurer hors des sentiers battus. Le tout fonctionne comme un fil rouge acceptable, mais sans densité, ni incarnation véritable.
Le poids des gestes, l’ombre du rythme
Stranded Sails: Explorers of the Cursed Islands s’articule autour d’une idée simple : faire cohabiter plusieurs mécaniques issues de genres très différents — agriculture, exploration, construction, survie — au sein d’un gameplay volontairement non violent et accessible. Une promesse ambitieuse qui, dans les faits, se heurte à un défaut fondamental : la lourdeur.
Chaque action dans le jeu demande plus d’efforts que de nécessité. Creuser, arroser, planter, construire : autant de gestes qui devraient se faire avec fluidité et qui deviennent ici des opérations mécaniques lentes, répétitives, pénibles. Tenez le bouton A pour creuser. Allez remplir manuellement un seau avant de pouvoir arroser. Videz-le entièrement avant de le ranger. Une succession de micro-frictions qui étouffent le plaisir de la boucle de jeu.
Et cette inertie ne concerne pas que le farming. L’exploration, elle aussi, est plombée par des choix de design discutables. Une jauge d’endurance vous pénalise à chaque course ou utilisation d’outil, mais n’est accompagnée d’aucun avertissement clair en jeu. Pas de retour visuel fort, pas d’alerte, pas de changement d’animation : votre personnage s’effondre sans prévenir. Un simple cadran abstrait en haut d’écran sert de repère, mais reste imprécis. Résultat : une mécanique punitive, contre-intuitive et peu lisible.
Le système de menus empire encore les choses. L’accès rapide aux objets se fait via le stick droit, avec des combinaisons directions/catégories incohérentes. Changer d’outil devient vite un réflexe laborieux à répéter toutes les trente secondes. Une roue d’accès via R existe, mais s’avère tout aussi peu ergonomique.
Côté progression, le jeu propose bien de nombreuses quêtes et tâches secondaires, mais l’impression de liberté reste trompeuse : les emplacements des bâtiments sont figés, les allers-retours sont systématisés, et les récompenses rarement à la hauteur des efforts. Seule la décoration des habitations apporte un semblant de personnalisation — trop limité, lui aussi, pour véritablement compenser le manque d’implication structurelle.
Les îles, pourtant bien pensées en termes de topographie, souffrent du même mal chronique : des chemins intéressants, des recoins cachés, oui… mais toujours contrebalancés par une friction constante du gameplay, qui empêche toute fluidité dans la découverte.
Stranded Sails est un jeu où l’envie d’explorer et d’expérimenter est constamment freinée par des mécaniques rigides, mal calibrées, et jamais retouchées. Ce n’est pas un jeu difficile : c’est un jeu pénible. Ce n’est pas une question de défi, mais de rythme. Et c’est là, sans conteste, son plus grand échec.
Entre cubisme flou et silences plats
Esthétiquement, Stranded Sails: Explorers of the Cursed Islands fait un choix clair : jouer la carte d’un pseudo-cubisme coloré, sans jamais aller au bout de son idée. Le résultat ? Une direction artistique timorée, coincée entre le charme naïf des voxels assumés et le minimalisme géométrique mal maîtrisé.
Le jeu ne bénéficie pas du style rétro volontaire que l’on peut attendre d’un moteur cubique. Les environnements sont plats, vides, dépourvus de détails vivants. Pas de végétation animée, peu de particules, très peu de variations d’ambiance. Le monde semble constamment suspendu dans une inertie visuelle, comme si l’archipel entier était un décor de théâtre figé.
Les personnages sont, eux aussi, très sommaires : animations rigides, expressions absentes, silhouettes génériques. Aucun d’eux ne dégage d’identité graphique propre, et l’ensemble évoque davantage une production mobile transposée que l’exclusivité Switch que l’on espérait.
La palette de couleurs, bien que cohérente avec le ton enfantin du jeu, n’évoque jamais l’exotisme ni la dangerosité de l’archipel. Chaque île semble construite sur la même base de textures, avec des variations minimes. Visuellement, Stranded Sails peine à imposer son identité.
Côté sonore, le constat est similaire. Les musiques sont rares, discrètes, anecdotiques, et les effets sonores manquent cruellement de personnalité. Aucun son ne marque. Aucune ambiance n’évolue. Le jeu est plat, à l’image de son monde.
Et c’est peut-être là son plus grand défaut : Stranded Sails ne souffre pas de problèmes techniques majeurs, ni de direction artistique catastrophique. Il souffre d’une absence de parti pris fort, d’un manque d’âme graphique et sonore qui le laisse dans une zone grise du paysage vidéoludique, ni laid, ni beau… juste oublié.
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