Premier jeu du studio français Sneaky Yak, fondé par trois frères, Spellcaster Universitys’extirpe de l’oubli grâce à une idée simple et magnifique : rebâtir une académie de magie, encore et encore, comme on rallume une chandelle dans une tempête.
Sorti le 02 Mai 2025 sur Nintendo Switch Spellcaster University ne ressemble pas à ce qu’il imite. Derrière ses airs de jeu de gestion, il dissimule une mécanique de ruine et de recommencement. On n’y empile pas des chiffres, on y compose des strates. On n’y trace pas un empire, on y élève des ruines intelligentes. On y enseigne dans des tours branlantes, jusqu’à ce que le temps, encore une fois, les emporte.
Mais que reste-t-il d’un savoir qu’on ne transmet jamais ? Peut-on fonder un héritage sur des cartes à tirer, des élèves à oublier, des sorts qui s’effacent au fil des cartes ?
Chronique d’un effondrement programmé
Dans Spellcaster University, chaque carte est un monde en sursis. Le Seigneur des Ténèbres approche, inlassablement. Il ne prévient pas, il n’explose rien — il use. Comme une marée noire, il recouvre, il engloutit. Votre rôle n’est pas de l’arrêter, mais de préparer le terrain. Pas de prophétie grandiloquente, pas d’élu flamboyant. Vous incarnez un fondateur provisoire. Un artisan d’écoles temporaires, construites dans l’urgence, détruites dans le silence.
Le jeu esquisse son récit dans une introduction ciselée : les mages ont disparu, victimes d’une erreur administrative. Une apocalypse par incompétence. Une ironie qui plante le décor. Vous êtes le dernier, et l’univers vous confie un objectif clair : rebâtir une académie capable d’enseigner, d’éduquer, de résister. Une mission simple. Un monde complexe.
Mais ici, pas de continuité classique. Chaque zone traversée devient un chapitre indépendant. À la fin d’une carte, tout disparaît : les élèves, les objets, les salles, l’or, le mana. Rien ne persiste, sinon un modeste bonus à débloquer selon vos performances. Ce fonctionnement transforme le récit en cycle. L’effort devient répétition. L’école, un souvenir à réécrire.
Et pourtant, quelque chose naît de cette structure fragmentaire. Un fil rouge s’impose. Chaque académie fondée s’inscrit dans une chronologie implicite. Chaque échec, chaque victoire partielle renforce l’idée d’une résistance invisible. Pas de narration classique, mais une narration par le manque. Par la perte. Par l’acte de recommencer.
Le monde autour n’est pas figé. Chaque carte contient ses factions, ses voisins, ses tensions. L’inquisition s’agace. Le roi réclame. Les paysans observent. Vos choix façonnent ces relations, même si leurs effets restent discrets. Là encore, pas de résolution spectaculaire. Juste une accumulation d’interactions, d’alliances incertaines, de tensions gérées à la marge.
Spellcaster University ne cherche pas à raconter une grande épopée. Il préfère la chronique d’un effondrement lent. Une école après l’autre. Une tentative après l’autre. Une mémoire construite sur des ruines choisies.
Strates d’architecture et mémoire en carton
Spellcaster University repose sur un système à la fois limpide et vicieux : chaque action, chaque salle, chaque évènement passe par une carte tirée depuis un deck. Tout commence avec un réfectoire, un dortoir, deux Maisons et quelques élèves sans talent. Puis vient le reste. Aléatoire, souvent surprenant, toujours contraignant. Ce n’est pas une gestion de flux, c’est un Tetris de choix, un empilement lent de compromis. Vous construisez en vertical, vous ajustez en urgence, vous adaptez en permanence.
Chaque ressource correspond à une école de magie. Cinq manas, cinq courants, cinq voies pour bâtir des salles, former des spécialistes, déclencher des effets. La lumière soigne, l’ombre punit, la nature s’immisce dans les interstices. À chaque instant, vos élèves génèrent du mana selon leur maison, leurs envies, leurs horaires. Il faut orienter, interdire, canaliser — sans jamais figer. L’académie respire, mais elle résiste mal au chaos.
Le placement devient un art risqué. Rien ne se détruit, rien ne se déplace. Une salle posée est une salle figée. Et lorsque vos infirmeries sont à l’opposé des dortoirs, lorsque la classe de nécromancie surplombe la salle des profs, l’architecture vous trahit. Chaque étage s’accumule sans garantie de cohérence. Le moindre agencement maladroit condamne des générations entières à l’échec.
La boucle est cruelle, mais élégante. Plus vous avancez, plus vos cartes deviennent puissantes — et plus leur gestion se complexifie. Les salaires rongent votre or. Les élèves s’en vont. Les promotions dépendent d’un équilibre fragile entre enseignement, fatigue, santé et timing. La moindre salle mal placée, la moindre Maison mal conçue, et la chaîne s’enraye.
Rien n’est inutile. Tout est risqué. Et c’est là que Spellcaster University révèle sa force : sous ses airs ludiques, il impose une rigueur presque sadique. Vous gérez moins une école qu’une illusion d’ordre, constamment menacée par l’entropie.
Traits grossiers, sortilèges muets
À distance, Spellcaster University amuse. De près, il tient surtout debout grâce à son charme bancal. La direction artistique ne cherche jamais la prouesse technique. Elle s’ancre dans un univers volontairement naïf, presque gribouillé, fait de silhouettes arrondies, de monstres caricaturaux, de bâtiments empilés comme dans une maquette de papier mâché. Chaque salle est identifiable, chaque personnage reconnaissable — mais rien ne respire vraiment. L’ensemble fonctionne comme une illustration figée, une tapisserie animée juste ce qu’il faut pour rester lisible.
Les animations sont minimalistes. Les élèves se déplacent d’un point à un autre comme des automates, sans poids, sans expression. Aucun geste ne marque, aucun mouvement ne trouble. Ce n’est pas un défaut si on l’accepte comme une mise à distance volontaire : une école de magie désincarnée, vue du ciel, sans chair ni cris.
La lisibilité reste exemplaire. Les effets visuels associés aux différentes magies — lumière, arcane, ombre, etc. — sont immédiatement identifiables. Rien n’agresse l’œil, rien ne le fascine non plus. C’est un outil, pas un spectacle.
Côté sonore, l’économie devient silence. La bande-son accompagne sans marquer. Quelques nappes d’ambiance, des bruitages utilitaires, une discrétion absolue. Aucun thème ne se détache, aucune variation ne s’impose. L’univers auditif s’efface derrière les mécaniques. Pas de doublage, pas de voix, pas de mise en scène sonore. Une école feutrée, où les sorts claquent à peine, où les couloirs restent muets.
Ce dépouillement, voulu ou non, crée un écart : l’imaginaire déployé par le gameplay, riche, exigeant, complexe, ne trouve pas d’écho dans sa mise en forme. Spellcaster University pense fort, mais parle bas. Trop bas.
Religions locales et donjons impitoyables
L’univers autour de l’école respire, lui aussi. Chaque carte posée dans Spellcaster University s’entoure de factions. Le roi, les paysans, l’inquisition, les aventuriers… Tous réclament votre attention. Ils formulent des doléances, attendent des réponses, exigent parfois des sacrifices. Vous pouvez négocier, soudoyer, ignorer. Construire une cochonnerie pour amadouer les rustres, faire livrer du pain aux croisés, nourrir la guilde des ombres. À chaque interaction, la réputation évolue. À chaque choix, un bonus potentiel.
Mais l’enjeu reste modeste. Ces relations sont mécaniques, accessoires, souvent anecdotiques. Aucun bouleversement ne surgit. L’hostilité ne rase rien. L’alliance ne sauve rien. Les bonus existent, les tensions flottent, mais le monde extérieur reste un arrière-plan. Une diplomatie de surface, jamais assez ancrée pour changer le rythme de l’académie. Et à chaque carte suivante, tout recommence. Rien ne se transmet. Rien ne persiste.
Plus étonnant encore : l’ajout des donjons. Une idée brillante sur le papier — envoyer vos élèves dans des souterrains hostiles, à la recherche de trésors, d’artefacts, d’histoires. Mais dans les faits, l’expérience tourne court. Les élèves meurent, souvent, très vite. Le système est punitif, déséquilibré, et désincarné. Aucun contrôle. Aucune stratégie. On assiste à des lignes de texte, on lit des pertes, on constate l’échec. Les récompenses existent, mais rarement à la hauteur du prix.
Les explorations deviennent un piège, une distraction, une fonctionnalité qu’on finit par éviter. Le potentiel narratif s’efface derrière une mécanique froide, et le manque d’interactivité transforme l’aventure en formalité létale.
Spellcaster University tente d’étendre son champ d’action au-delà des murs de l’école. Mais ces extensions restent périphériques, inabouties, comme des promesses d’univers ouvertes à demi-mot.
Portage Switch : une magie qui vacille
Sur Nintendo Switch, Spellcaster University conserve l’essentiel de son charme, mais le portage souffre de plusieurs limitations notables. Si le jeu tourne de manière fluide en mode docké, l’expérience en mode portable est entachée par une interface peu adaptée : textes trop petits, absence de zoom et navigation laborieuse. L’absence de commandes tactiles, pourtant naturelles sur cette plateforme, renforce cette impression de rigidité.
La lisibilité est également mise à mal par des cycles jour/nuit mal calibrés, rendant certaines phases de jeu visuellement confuses. Les contrôles, bien que fonctionnels, manquent de précision, notamment lors du placement des salles ou de la gestion des cartes, ce qui peut frustrer lors des sessions prolongées.
Malgré ces écueils, le jeu reste stable, sans ralentissements majeurs ni bugs bloquants. Toutefois, ces défauts d’ergonomie et de lisibilité nuisent à l’immersion et à l’accessibilité, particulièrement en mode nomade.
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