Shinkirari – Derrière le rideau, la liberté est un manga de Murasaki Yamada publié aux Éditions Kana. Il sortira le 30 Août 2024 et se compose de 384 pages.
Chiharu Yamakawa consacre tout son temps et son énergie à ses filles. Année après année, elle supporte tous les aléas de la vie avec beaucoup de dignité. Elle doit demeurer une mère exemplaire, mais également une épouse parfaite, même si son mari est loin de l’être de son côté. C’est une Japonaise très ancrée dans la tradition ; l’histoire se déroule dans les années 70, époque durant laquelle les femmes étaient davantage muselées.
On suit le quotidien de cette famille ordinaire. L’époux de Chiharu la considère comme une bonne à tout faire. Elle doit s’occuper des enfants, de la lessive, du ménage, de la cuisine ; lui préparer son café et même changer de chaîne parce que la télécommande est trop loin à son goût, il ne va certainement pas bouger. Tout pèse sur les épaules de Chiharu qui a conscience du rôle de la femme soumise une fois mariée. Les non-dits subtils qui distillent une atmosphère délétère : « C’est moi l’homme de la maison, je rapporte l’argent dont tu as besoin pour nous nourrir, alors tu t’écrases. » Cette mentalité patriarcale a perduré pendant longtemps ; certains arriérés sont encore bloqués dans cette mouvance épouvantable…
Chiharu est tellement conditionnée qu’elle ne sait que faire de son temps libre, une fois que ses filles dorment enfin. Son rôle de femme au foyer a émietté toute son identité propre, elle a fini par s’oublier elle-même.
Chaque chapitre est court, on apprend à connaître Chiharu en profondeur, ainsi que ses filles, Sachi et Chika. Le mari est absent la plupart du temps ; quant à Patron, c’est le chat bicolore de la maison.
L’auteure, Murasaki Yamada, a eu un mariage malheureux et deux enfants à sa charge complète, qui l’ont obligée à mettre son travail en pause pendant quelques années. On retrouve le thème des vicissitudes maritales dans beaucoup de ses œuvres. À la fin de Shinkirari, un documentaire de Ryan Holmberg lui est consacré. Extrêmement détaillé, agrémenté de photos de l’époque, il ravira tous les puristes.
Chiharu étouffe. Elle n’a plus d’aspirations personnelles hormis rendre ses filles heureuses. Quand elle tombe malade, cela gêne son époux, car elle ne s’acquitte pas de ses corvées assez rapidement. Il ne lui témoigne aucun amour et surtout, essaie de lui cacher sa perfidie. Mais Chiharu n’est pas stupide et tait ce secret 6 mois durant, avant qu’il éclate. Pour autant, il n’y a pas d’amélioration dans son couple. Tout est figé, immobile, austère. Chiharu suffoque et aspire à prendre son indépendance. Une dualité marquée entre ses envies, et ses obligations en tant que mère qui la plongent sans cesse dans la servitude.
Le style de dessin est minimaliste, aérien ; un trait sobre qui met l’accent sur les dialogues et l’introspection de Chiharu. Ses états d’âme profonds ponctuent ce manga, toujours intégrés avec justesse. Il y a ce que Chiharu accomplit au quotidien et ce qu’elle pense réellement, dans un silence absolu. Elle prend son indépendance dans des actes simples pour commencer : marcher pieds nus sous la pluie. Elle pourrait passer pour une folle, mais brise justement cette convention de cette façon. Petit à petit, elle grignote la muselière qui la retient prisonnière. Son travail à mi-temps dure 2 ans. Hélas, les réunions scolaires, les absences pour veiller ses filles malades, etc ; incitent son patron à la licencier. Chiharu s’y attendait et le prend bien ; après avoir épargné cette jolie somme, elle retourne à ses pénates, jusqu’à ce que ses filles décident de rentrer dans un club de volley qui va exiger tout leur temps, y compris leur Dimanche…
Ces 384 pages témoignent de l’évolution de Chiharu, davantage de rébellion que l’on sent croître au fil du temps. Lorsqu’elle est malade, cela contrarie son époux qui exige toujours autant, alors elle songe : « Vivement qu’il parte travailler. Je veux me reposer. » Parfois elle rêvasse, trouver l’amour autre part, se libérer de cette situation qui la plonge dans une solitude tellement intense… Mais Chiharu ne fléchit jamais, car c’est une femme extrêmement loyale et surtout impliquée dans son rôle de mère.
Elle aborde les fameuses réunions familiales, durant lesquelles la famille de son époux discute dans le salon tandis qu’elle doit demeurer en cuisine pour satisfaire les convives. Elle doit guetter le moment opportun pour leur servir le thé, sans prendre part à la discussion. C’est une pièce rapportée en somme.
L’histoire est beaucoup plus profonde qu’il y paraît. Car sous l’aspect slice of life se glisse tout le questionnement autour du rôle de la Shufu, la femme au foyer japonaise.
À travers des scènes de la vie quotidienne, on prend conscience du poids sur les épaules des mères au foyer japonaises dans les années 70. Il y a un parallèle intéressant avec les animaux de la maison : ils parviennent à gagner leur liberté après avoir vécu dans la même dépendance, au même endroit. Au final, on comprend que les entraves sont avant tout sociales, que Chiharu peut prendre son envol avec un pécule de côté.
Voici le Sommaire : Les fleurs de colza, poème de Yûko Kawan, La solitude de Cendrillon, Marcher seule, Les câlins, Le jour des bananes, Les élèves populaires, C’est toujours la première fois, J’ai fait sortir des humains de mon ventre, Les enfants tombent parfois du ciel, L’ogre rouge qui pleurait, Les bonbons, La paix du foyer, Qui suis-je ?, Le retour du printemps, Le soleil du foyer, Il pleut des cordes, La fin du rêve, Patron, Derrière le rideau, la liberté, Le père Noël, Jour de neige, La fièvre, Le chien errant, La fierté d’une mère, Je me suis mise en colère, Mon dos, Le jour de la libération, Le mi-temps, L’omelette, Quitter le nid, Jouer les cafards, Transition, Les cheveux courts, Résilience, Chiharu Yamakawa, Camarades, Une femme riche, La vie et l’art de Murasaki Yamada.