Dementia 21 est un manga de Shintaro Kago, publié en France chez Huber Éditions.
La décadence de la vieillesse
Yukie Sakai travaille chez Green Net, une société qui s’occupe des personnes âgées. La jeune femme essaie de devenir la meilleure aide-soignante en décrochant le prix C-1. Elle s’occupe de sa propre mère, qui la méprise en lui rappelant que son rêve de devenir la meilleure aide-soignante s’est effondré avec sa naissance. Ainsi, Yukie endosse cet emploi pour réaliser le rêve de sa mère à sa place.
Yukie est une jeune femme volontaire et énergique qui se surmène énormément pour réussir sa carrière. Dévouée et patiente, son ascension fulgurante dérange sa collègue qui ne tolère pas ses exploits, car Yukie est arrivée après elle. Elle estime donc que son droit d’aînesse prévaut pour gravir les échelons. La persécution malveillante démarre, sous un vernis de travail à accomplir. Yukie est envoyée chez une vieille dame dont la demeure serait prétendument hantée. Les aides-soignantes qui se sont occupées d’elle sont toutes décédées…
Yukie parvient à terminer son travail, irritant davantage sa collègue. Cette dernière décide de l’épuiser en lui affectant toujours plus de patients dans le même laps de temps. Chaque jour, de nouvelles personnes émergent, au point que Yukie ne peut plus suivre le rythme. Les gens balancent leurs parents/grands-parents dans cet espace de plus en plus exigu qui offre des soins gratuits, paraît-il, une manœuvre pour se débarrasser de la jeune femme en la tuant à la tâche.
Voir tous ces corps s’entasser pour façonner une entité de chair m’a fait penser à l’horreur de Junji Ito. Pareillement lors de la séquence des dentiers dotés d’intelligence, qui finissent par détruire leur propriétaire. On discerne des rangées de dents dans les globes oculaires notamment.
Psychédélique et réaliste
Le psychédélique prend des proportions démesurées : des aliens qui se servent des séniors pour jouer au pachinko, Yukie qui arrête la guerre dans le monde grâce à ses soins pour personnes âgées, une vieille dame qui efface l’existence des gens en les oubliant de sa mémoire…
Dementia a beaucoup d’humour, tout en incluant un grignon d’horreur bien réel. Les séniors représentent une gêne pour la jeune génération qui n’hésite pas à s’en débarrasser par tous les moyens. Comme cette dame en trop bonne santé à qui il faut arracher les dents en guise de traitement pour la faire vieillir plus rapidement. Une horreur palpable et irréfragable, surtout à notre époque, dans laquelle les EHPAD se remplissent davantage, au détriment de toute humanité.
Dementia 21 est sorti en 2019 au Japon. Shintaro Kago est principalement connu comme l’un des maîtres de l’eroguro (ou plus exactement ero guro nansensu), un art né vers 1930 qui combine érotique, horreur et grotesque. L’aspect érotique ne figure pas dans Dementia 21. Le burlesque et la hideur créaient une ambiance étrange, parfois dérangeante.
À travers de multiples histoires abracadabrantes, Yukie vit des péripéties violentes. Elle manque mourir sur la voie rapide réservée aux barbons destinés à mourir au volant, assiste à une battle royale entre séniors pour déterminer qui vivra gratuitement dans un manoir de luxe, croise des voleurs d’organes… Ce chapitre est particulièrement dur, je trouve. Yukie cherche l’interrupteur pour débrancher une personne âgée plongée dans le coma, car ni la famille ni le médecin ne souhaitent se salir les mains. Et tous ces câbles ont en réalité une autre utilité… Le médecin n’a pas spécialement de remords en se trompant de câble et en débranchant le mauvais patient. Plusieurs personnes perdent la vie dans l’indifférence la plus totale.
La vieillesse est abordée dans son entièreté : l’incontinence, la faim, la fatigue, le froid, la solitude, la douleur, la dépendance… Chaque senior a ses propres problèmes en déclinant.
Yukie suit une formation spéciale qui surévalue les compétences des aides-soignantes. Traverser des champs de mines en portant un mannequin de vieil homme, se faire croquer par un alligator tout en s’occupant du patient… Le métier d’aide-soignante devient risqué et exige les meilleures performances possibles.
Le rythme est rapide, parfois sans transition, renforçant l’absurde. Les situations s’enchaînent très vite. Les personnages ont bien souvent le cœur noir, ils finissent par livrer leurs véritables desseins, qui ne sont guère reluisants.
Chaque histoire est bien écrite, met les nerfs de Yukie à rude épreuve. Mais malgré tout ce qu’elle traverse, elle persévère.
L’édition collector compte 300 pages, les 12 pages en couleur sont exclusives à cette édition limitée.