L’Opening Night Live de la GamesCom 2024 s’est tenu ce 20 août et, comme c’est souvent le cas, rien de réellement transcendant n’a été présenté. Des jeux copiés-collés, reprenant systématiquement les mêmes structures, genres et références… Rares ont été les annonces à réellement apporter une hype importante à quiconque aime le médium et l’éprouve depuis longtemps. Du moins, jusqu’aux environs de 21h. Geoff Keighley introduit alors un « vétéran de l’industrie ». Et en effet, pour un vétéran… Peter Molyneux est monté sur scène, loin d’aborder le sourire débonnaire et la veste de cuir qui ne le quittait jamais à ses débuts.

Un discours plein d’émotions

Désormais âgé de 65 ans, il a commencé son intervention en expliquant regretter d’avoir passé autant de temps sur des jeux mobiles (Godus en 2013 puis The Trail en 2015), se demandant « qu’est-ce que je faisais ? ». Il a ensuite expliqué vouloir revenir à ses racines, c’est-à-dire au développement de jeux importants sur consoles et PC.

Il a poursuivi en disant avoir pris du temps pour « revisiter » ses anciens succès, comme Dungeon Keeper, Black & White, Populous ou encore Fable. Ce qu’il voulait, c’était reprendre les idées et concepts qu’il avait été contraint de laisser de côté, dans l’optique de produire une nouvelle œuvre d’ampleur.

Il a alors réuni une nouvelle équipe, composée d’une vingtaine de collaborateurs anciens et nouveaux, allant jusqu’à retrouver Mark Healey (avec qui il a travaillé sur Dungeon Keeper et Black & White, puis qui s’est occupé de LittleBigPlanet 1 et 2 ainsi que de Dreams) et Russell Shaw (le compositeur historique des principaux jeux de Molyneux, tels que Black & White ou Fable). Peter a pris du temps pour souligner être heureux de retrouver les talents qui avaient contribué au succès de ses anciennes productions.

Un long passage à vide

Depuis 2012 et l’échec de Fable Legends (sur lequel il n’était plus que consultant), Peter Molyneux avait déjà décidé de revenir aux sources en fondant un nouveau studio : 22Cans. Après un Kickstarter pour son jeu Godus, il avait été pris à partie par John Walker (freelancer travaillant notamment pour Kotaku) lors d’une interview dans un échange lunaire tenant plus du règlement de comptes qu’autre chose.

Sans doute Walker s’était-il senti puissant, en s’en prenant ainsi à un génie de l’industrie ayant peu ou prou inventé plusieurs genres majeurs et produit des titres qui ont traversé les âges et inspiré des générations entières de développeurs. Sans doute avait-il envie de se faire mousser en étant « l’homme qui osait tout dire ». Mais à la vérité, du moins de mon point de vue, Walker s’est comporté comme la dernière des merdes ce jour-là.

Si vous n’avez eu l’occasion de lire cette interview, je vous invite à vous y pencher. Elle commence par une question de Walker qui est restée dans les mémoires : « Pensez-vous être un menteur pathologique ? » Le reste est un acharnement brutal, où Walker accuse simplement Molyneux d’être un escroc, incapable de comprendre l’industrie ni de réaliser un jeu, une fraude qui ne mérite pas son succès. Il conclut d’ailleurs cette fameuse « interview » (ou plutôt ce passage à tabac) en disant à Molyneux « OK, très bien. Merci beaucoup. J’apprécie vraiment que vous veniez de passer un mauvais moment ».

Après ça, Molyneux est (logiquement) resté en retrait des médias ; continuant son petit chemin en se concentrant sur des jeux mobiles sans grandes ambitions qui n’ont pas rencontré grand succès. Pour la première fois en neuf ans, donc, Peter Molyneux a osé revenir sur le devant de la scène. Et pour quelle annonce…

Les Maîtres d’Albion

Masters of Albion se présente donc comme un God Game, c’est-à-dire un jeu dans lequel vous incarnez Dieu, incluant bon nombre d’éléments modernes, originaux, voire totalement inédits. À l’image de Black & White, la main de votre divinité existe réellement dans la diégèse du jeu, vous permettant d’interagir librement avec le décor de manière immersive.

Le jour, vous avez pour mission de gérer un village en vous occupant des habitants, en accomplissant des quêtes ou en construisant avec un système particulièrement intriguant vous permettant d’empiler les éléments afin de laisser libre cours à votre imagination.

Un système de craft a également été implémenté dans le jeu, là encore n’ayant visiblement de limite que vous-même. Le trailer présente d’ailleurs une épée dont la lame a été remplacée par une baguette, afin d’illustrer au mieux toutes les possibilités offertes par le jeu.

À la nuit tombée, des monstres apparaissent et mettent en péril votre petite communauté. Un héros est alors appelé pour les combattre. Si vous pouvez le laisser faire, Masters of Albion vous permet également de l’incarner en prenant possession de son corps, idée déjà présente dans Dungeon Keeper.

Bien que le jeu n’ait pas encore de date de sortie, il a fait forte impression au milieu de ce marasme d’œuvres se ressemblant toutes (et d’interminables références à Terminator).

Une chose est certaine : Peter Molyneux s’est montré particulièrement humble et n’est pas venu les mains vides. Plutôt que de présenter une énième cinématique ne reflétant pas du tout la réalité de l’expérience, c’est bel et bien avec une bande-annonce de gameplay qu’il a présenté son titre pour la première fois ; traduisant son ambition de revenir sur le devant de la scène (sans doute avant de prendre définitivement sa retraite) pour un dernier coup d’éclat.

Derrière l’œuvre, le génie

Vous le savez, ce blog a pour but d’être bien plus personnel que le reste de nos articles, donc je vais le dire sans ombrages : Peter Molyneux est l’une de mes idoles (aux côtés de Brian Fargo, Richard Garriott, Sid Meier ou encore Jon Van Caneghem). C’est un homme que j’ai toujours profondément admiré, que ce soit pour son travail en général ou pour sa faculté à aimer le médium d’une manière inconditionnelle.

Malgré un passage à vide lors de sa carrière, lors du rachat de Lionhead par Microsoft (période durant laquelle il ne développait plus mais se contentait d’appeler de temps en temps pour donner des directives vagues aux équipes) ; nul ne peut retirer à l’homme tout ce qu’il a apporté à l’industrie dans son ensemble.

Peter Molyneux a, dès 1989, créé tout simplement le jeu de gestion avec Populous. Peut-être n’aurait-on jamais eu de Civilization sans lui. Quelques années plus tard, en 1993, voilà qu’il sort Syndicate, qui emmena dans son sillage toute cette période dorée de RPG en vue isométrique.

Et comme si cela ne suffisait pas, il sort en 1994 Theme Park et Magic Carpet. En 1997, il révolutionne une nouvelle fois l’industrie avec Dungeon Keeper, puis en 2001 avec Black and White, avant de terminer en apothéose en 2004 avec Fable.

Sans aller jusqu’à citer ses œuvres « mineures » telles que The Movies, Theme Hospital, Genewars ou encore PowerMonger ; il faut reconnaître à Molyneux un talent pour révolutionner le médium très régulièrement, sans doute plus encore que la majorité des autres développeurs et studios.

Depuis 1986, soit pratiquement 40 ans, il a été à la tête de pas moins de 27 jeux, dont la majorité ont changé le médium… et m’ont fait rêver. Fable reste, encore aujourd’hui, l’une de mes séries préférées. Les Themes m’ont donné le goût des jeux de gestion, Populous m’a fait découvrir le plaisir de la stratégie civilisationnelle, Black & White la magie des God Games.

C’est bien simple : sans Peter Molyneux, je ne serais sans doute pas en train d’écrire ces lignes aujourd’hui, ni n’aurais la même passion pour le médium. À travers ses œuvres, il a forgé des générations entières de joueurs, de passionnés, d’amateurs… dont je fais irrémédiablement partie.