La fiancée silencieuse est un roman d’Émile Ravesne paru en autoédition le 21 Août 2024. Il se compose de 282 pages.
Jozef et Camille sont ensemble depuis 6 ans. Tous deux sont des écorchés, extrêmement dépendants l’un à l’autre, nourrissant un amour absolu. Jozef a longtemps cherché son âme sœur, l’unique, capable de le comprendre, de l’accepter et de l’aimer tel qu’il est. Il a trouvé en Camille une artiste torturée dont les ténèbres l’ont inéluctablement attiré.
Jozef abandonne sa carrière artistique au profit d’une vocation de psychothérapeute. Choix que Camille tolère, mais ne souhaite pas aborder lors de leurs discussions.
Au fil du temps, leur idylle s’émiette. Malgré leur amour absolu, Camille se mure dans le silence tandis que Jozef lui accorde de moins en moins de temps, accaparé par ses études. Tout bascule lorsque Camille disparaît soudainement…
La Fiancée silencieuse n’est pas un simple roman. Jozef, le narrateur de l’histoire, mélange beaucoup d’analyse psychologique à son récit. Si cette dernière est toujours pertinente, elle casse tout de même le rythme. Le lecteur alterne entre les pensées profondes de Jozef et ses observations, qui s’appuient sur des études psychologiques avérées. Cette dualité penche davantage dans l’analyse, alors qu’en la condensant, en la distillant par touches plus espacées, plus courtes ; le récit serait bien meilleur.
Par ailleurs, lorsque Jozef raconte sa vie à Alice Koënig, sa psychiatre, souvent des ellipses sont marquées lors des situations. On peut supposer que c’est pour conserver sa réelle vision de Camille, livrée à la toute fin. Mais, quand Jozef explique qu’ils se brouillent pour telle raison, rient de telle blague ; nous, en tant que lecteurs, souhaitons vivre la situation avec tous les détails. C’est ce qui rend un récit vivant. Par ailleurs, en s’adressant à Alice, il sait qu’elle ignore leur parcours et il doit fournir un maximum d’informations. On pourrait attribuer cette concision à l’état de Jozef, seulement, il se montre extrêmement prolixe dans son ressenti, sa place dans le monde, il décortique sa vieille âme honnêtement.
Cette ambivalence décontenance légèrement ; toutefois, on peut simplement l’imputer à la personnalité de Jozef, qui estime que ce sont des détails anecdotiques et choisit de ne pas les clarifier, Alice ne le sollicitant jamais durant ces ellipses.
L’inspecteur Hofmann suspecte Jozef d’avoir tué Camille et l’accable à chaque fois qu’ils se croisent. Jozef s’insurge, il n’aurait jamais pu tuer Camille, c’était sa moitié.
La manière dont Jozef aime Camille est entière, sans faux-semblants. Il s’agit bel et bien d’amour revêtu de passion, avec tout ce que cette dernière induit. Effectivement, l’amour implique de nombreuses émotions, peut frôler la haine, le chaos. Quand on aime véritablement, on finit par se fondre l’un dans l’autre, perdre une certaine identité pour s’en découvrir une nouvelle. Une fusion totale des êtres qui donne un sens à cette existence meurtrie. Par amour, on peut commettre le pire comme le meilleur. Et la majorité des gens ne connaissent, au mieux, que l’Agapè.
Le roman se découpe entre les phases qui se déroulent au présent, celles du passé et les analyses psychiatriques. Je partage entièrement la vision de Jozef concernant cette Société aliénante. Une personne saine ne peut s’épanouir dans tout ce miasme qui étouffe l’âme. Quoi de plus normal que de développer des pathologies au milieu de toute cette violence, cette hypocrisie, ce consumérisme ?
Jozef évoque la prétendue moralité de l’être humain qui guide tout un chacun pour se ranger dans la Société, sur ce point en revanche, je conteste la formulation, car l’humanité a perdu toute moralité voilà longtemps. Tout du moins, chez la majorité ; il y a toujours des exceptions, mais elles sont rares. Il s’agit plutôt d’un moule qui formate les individus pour devenir conformes aux attentes du dictat des puissants.
Je rejoins plutôt l’idée de la fausse moralité, des gens qui se donnent bonne conscience, mais sont profondément mauvais en eux.
Rappelons que c’est Jozef qui raconte cette histoire. Chaque narrateur, à moins qu’il soit omniscient et externe au récit, a sa propre vision de la situation. De fait, Jozef nous raconte cette histoire avec son ressenti, ses observations.
Emile Ravesne a réalisé lui-même les 17 illustrations qui se trouvent à la fin du livre ainsi que la couverture de ce roman, qui est très appropriée. Car nous ne sommes que des reflets aux yeux des autres. La façon dont nous sommes perçus dépend de chacun. Il en va de même pour Camille. J’insiste sur ce point, car il est révélateur à la toute fin, lorsque Charles prend le parti de Jozef en dénigrant Camille ; lorsque Anna prend le parti de Camille en critiquant Jozef. Finalement, nous ne sommes que des miroirs aux yeux des autres, qui y voient ce qui comble leurs attentes/espérances.
Ce miroir oppose également deux réalités : celle de l’individu et celle, au sein de la psyché, de l’état dissociatif. Un autre présent qui coexiste pour que l’esprit ne sombre pas totalement dans la folie.
La plume d’Emile Ravesne est très belle, émaillée de poésie, de nihilisme et de beauté artistique qui imbibe ces pages. Jozef et Camille sont deux peintres, ce dernier cite de nombreux artistes qui les inspirent. Mais Jozef a arrêté de créer à la mort d’Oriane. C’est elle qui l’a incité à s’engager dans cette vocation de psychothérapeute. Oriane introduit les fragilités de l’esprit, tout ce que l’on cache en soi. Même si elle était réellement bienveillante, ses propres cassures étaient présentes en elle et aider les autres ne permet pas forcément de se sauver soi-même.
On pardonne les coquilles de ce récit au profit de la profondeur de ce voyage intérieur. Cette manière de dépeindre le monde avec beaucoup de justesse et d’authenticité, sans aucun faux-semblant ; cette amertume qui érode l’amour pur et beau. La plume est entière, ne se travestit jamais. On sent le talent de l’auteur qui a une véritable vocation dans l’écriture. Par ailleurs, ses dessins sont très sympathiques, notamment les décors avec les effets de lumière maîtrisés.
J’ai aimé découvrir ce couple qui essaie de survivre, mais étouffe dans ce monde glacé. J’avais deux théories quant à l’issue de ce livre, j’ai visé juste.
Est-ce que l’amour peut atténuer la souffrance ? Les cassures ? Qu’est devenue Camille ? Je vous laisse découvrir ce roman très bien écrit qui mérite d’être partagé.
Bonsoir,
Tout d’abord un grand merci pour cette lecture et cette longue chronique. Comme vous allez plus dans l’analyse détaillée, je me permets de vous répondre plus longuement. 🙂
Vous avez bien repéré l’aspect analytique ou contemplatif du narrateur et de son regard sur l’affaire. Les deux personnages, Jozef et Camille, ressentent, pensent, rêvent (ou étudient et peignent!), mais agissent peu. C’est un récit du rêve, du fantasme. Ce roman est en effet très réflexif, et l’action, finalement, n’est décisive qu’à sa fin. C’est même une « résolution antérieure » qui est révélée.
La subjectivité de Jozef (sa relation avec Camille, ses ressentis sur le monde…) est mise à l’avant, oui, très largement privilégiée par rapport aux éléments factuels de l’enquête. Elle sert d’abord la narration romanesque ; et aussi, elle permet plusieurs échos ou mises en abîmes.
D’un côté, il est étudiant puis jeune psychologue, et il se retrouve interrogé par une psychiatre dans le cadre de l’enquête ! Il se doute que sa personnalité et ses motivations, parts d’ombre y compris, qu’il tente probablement de voiler ou d’éluder, sont au cœur de l’enquête et de l’entretien avec le docteur Alice Koenig. Nous comprenons plus tardivement ce que chacun sait, ou cache. Et le récit finit sur une (ou deux) ambiguïtés : l’une sur les révélations (ou non-révélations) de Jozef à la psychiatre, mais aussi dans la citation qui clôt le récit (et cela a son double-sens). Je n’en dis pas plus.
De l’autre, Jozef est un personnage qui étudie, observe, et dissèque tout de manière intime et obsessionnelle ; il est à son tour regardé ou « jugé » par le lecteur du livre.
Quant aux détails peu explorés ou approfondis, il est vrai que certains sont passés sous ellipse, et seulement mentionnés ; je suppose que le narrateur, Jozef, focalise davantage sur les significations des choses que les choses elles-mêmes : plusieurs éléments et passages de sa relation avec Camille vont dans ce sens. Par exemple, lorsqu’il s’interroge sur le sens d’une œuvre, ou bien, sa réalité concrète, matérielle, la plus brute : sa beauté, sa charge émotionnelle. Ou bien, comme on le découvre plus tard : les oublis, ce à quoi la mémoire s’attache, et non.
Puisque le roman évoque la relation à l’autre, en psychologie on peut aussi penser aux tempéraments, caractères, types de personnalité… ce qui peut permettre de comprendre l’altérité en acceptant sa part de différence.
Sur la société, la morale et la fausse-morale : je crois que chacun combat ou repousse quelque chose. Que ce soit le matérialisme consumériste, le conformisme, l’autorité, la fausse bonne conscience, les apparences, les vanités… Ce qu’on voit du monde révèle quelque chose de notre regard, de notre intime vision. Cela renvoie à la Dualité, mais aussi à notre Ombre inconsciente : malgré l’apparente discussion de sombre beuverie, Jozef parle du « rebelle et de l’homme social »… Chacun de nous peut être naturellement attiré par un pôle ou l’autre en fonction de ses schémas et conditionnements profonds.
Ici, j’assume que le récit est éminemment subjectif, et que souvent, le narrateur est un double fictif de l’écrivain : une voix singulière, qui n’échappe pas à ses propres filtres, à son vécu et à sa sensibilité. Le récit parle aussi de mutation, d’initiation.
Quant aux déclarations de Charles et d’Anna, je pense qu’elles ne sont pas seulement des dénigrements ou accusations (au sens de défouloir, ou catharsis facile, même si les luttes ou oppositions accentuent le registre dramatique): mais elles révèlent aussi que tout humain, toute relation, sont imparfaits et faillibles. Nous avons les deux faces d’une même pièce. Mon idée était la suivante : deux personnages peuvent être sincèrement amoureux l’un de l’autre, de la meilleure volonté, mais peuvent aussi ne pas se comprendre entièrement, ou faire face à des difficultés qui les dépassent : maladie psychique, traumatismes, et c’est particulièrement frustrant ou ironique pour un personnage qui est un psychologue ! 😉
De plus, cela montre un envers du décor de la relation idyllique qui nous est présentée au tout premier chapitre : les débuts de relations sont d’ailleurs une phase d’idéalisation très forte (qui permet l’attirance et l’attachement), alors que tout couple réel présente ses difficultés voir contrariétés. L’autre est un autre. Ce roman nous invite à nous demander si la fusion des âmes et des amants existe et est possible dans notre monde. Ou si tout n’est que lubies de jeunes âmes, et compromissions.
Merci pour les compliments sur le style et le roman : en effet, l’authenticité, sans s’enrober de masques et de faux semblants, révèle avec les vérités du monde dans leur visage le plus nu, qu’elles soient rassurantes ou dérangeantes : humanité, beauté, espoir, fragilité, noirceur, cruauté, absurde… C’est le parti recherché et assumé.
Émile
Très belle analyse. Je pense que l’amour peut être plus que l’idéalisation des premiers émois ; capable de durer à travers le temps. Mais encore faut-il trouver la bonne âme et être capable de s’accorder sans émietter l’autre avec ses propres cassures.
En tout cas, c’est un roman qui a laissé une empreinte. Très bonne continuation et inspiration !