Certains jeux ne suscitent pas le débat : ils le fuient. Gal*Gun 2, suite directe d’un épisode déjà largement décrié, s’inscrit dans cette tradition embarrassante de productions qui revendiquent l’irrévérence comme cache-misère. Développé par Inti Creates et sorti en avril 2018 sur Nintendo Switch, PlayStation 4 et PC, ce rail shooter à prétention comique tente de bâtir un gameplay autour d’un postulat absurde : repousser les avances enflammées de collégiennes ensorcelées à coups de décharges de phéromones. L’idée, sur le papier, pourrait appartenir à une satire audacieuse ou un délire visuel à la WarioWare.
Mais Gal*Gun 2 ne joue jamais cette carte. Au lieu de détourner ou critiquer les clichés, il les épouse avec une complaisance désarmante, habillant son squelette ludique famélique d’un vernis racoleur aux relents douteux. Loin d’une curiosité marginale ou d’un ovni de niche, le jeu révèle une faille plus profonde dans l’écosystème vidéoludique actuel, où l’emballage provocateur sert parfois de substitut à toute idée de conception ou de finesse.
Phéromones, clichés et vide narratif
L’univers de Gal*Gun 2 s’ancre dans une fiction aussi improbable que gênante. Le joueur incarne un lycéen anonyme frappé par un sort magique, condamné à attirer malgré lui toutes les filles de son établissement. Paniqué par cette avalanche hormonale, il reçoit une arme spéciale qui lui permet de “calmer” ses admiratrices… à coups de tirs de phéromones. Autour de ce prétexte grotesque se construit une suite de scènes à la fois absurdes, répétitives et volontairement suggestives, déguisées en comédie romantique déjantée.
Les personnages féminins, bien que nombreux, se résument à des archétypes sans nuance : la petite sœur collante, la camarade studieuse, l’amie d’enfance au sourire ambigu. Aucun développement, aucune trajectoire narrative n’émerge de ces rencontres successives. Chaque interaction vise à renforcer une mécanique unique : provoquer une réaction exagérée pour déclencher une animation sensuelle. Ce n’est pas une romance, ni même une caricature. C’est un alibi scénaristique au service d’un fantasme.
Le récit, quant à lui, avance par à-coups, enchaînant les missions sans construction dramatique. Quelques scènes viennent rappeler l’existence d’un fil rouge, mais celui-ci n’apporte ni enjeu ni tension. Les dialogues oscillent entre banalités scolaires et sous-entendus douteux, portés par une écriture creuse qui échoue à installer un ton cohérent, entre comédie grotesque et harcèlement maquillé.
La seule constante de cette progression narrative réside dans son inconfort. Chaque échange, chaque réaction, chaque mise en scène semble orchestrée pour provoquer un malaise dissimulé sous un vernis de légèreté. Aucun personnage n’existe en dehors de sa fonction : séduire, gémir, fuir ou tomber. Le joueur, malgré lui, devient spectateur d’un théâtre figé, où la superficialité tient lieu de dramaturgie.
Un rail shooter qui tourne à vide
Derrière ses artifices aguicheurs, Gal*Gun 2 repose sur une ossature ludique minimaliste : celle d’un rail shooter dont le joueur n’a jamais le contrôle du déplacement. Chaque mission place le protagoniste dans un lieu fixe ou en déplacement scripté, face à des vagues de camarades en transe à neutraliser à l’aide d’un canon à phéromones. La cible visuelle s’ancre au centre de l’écran, et le gameplay consiste à viser des points sensibles pour provoquer des réactions exagérées et débloquer des animations. Loin d’un système tactique ou rythmé, il s’agit d’une répétition mécanique à peine déguisée.
La diversité des missions s’arrête au vocabulaire employé. Qu’il s’agisse de “protéger”, “rechercher” ou “soutenir”, l’action reste la même : enchaîner des tirs sur des cibles en uniforme, dans des décors identiques. Aucun effort de level design ne vient renouveler la structure. Chaque salle, chaque couloir, chaque zone reprend les mêmes routines. Les vagues d’ennemies arrivent selon un schéma prévisible, sans rythme ni variation. Même les boss, censés représenter un pic de tension ou de stratégie, se contentent de rallonger artificiellement des mécaniques déjà usées.
Le système d’amélioration du personnage, pourtant mis en avant, repose sur une logique de collecte d’objets dissimulés dans les niveaux, eux-mêmes générés selon des modèles répétitifs. Les bonus gagnés n’apportent que des ajustements mineurs, souvent inutiles tant le niveau de difficulté reste bas. Pire encore, les phases les plus avancées du jeu deviennent fastidieuses par leur manque d’enjeu réel : ni la courbe de difficulté, ni les objectifs ne viennent relancer l’attention du joueur.
L’ergonomie n’est pas en reste. La visée, souvent flottante, peine à suivre l’action, surtout sur Nintendo Switch. Le gyroscope mal calibré, les mouvements imprécis et le feedback limité rendent chaque séquence plus laborieuse que captivante. Ce n’est pas le joueur qui maîtrise la situation : c’est l’inertie du jeu qui le conduit d’un point à un autre.
Derrière l’emballage provocant, il ne reste qu’une succession de scènes sans enjeu, un gameplay vidé de sa substance, et une architecture de jeu incapable de se réinventer au fil des heures. Gal*Gun 2 n’est pas un rail shooter mal réalisé : c’est un rail shooter inexistant, dont les mécaniques ne servent qu’un habillage provocateur.
Charme artificiel sous vernis plastique
Visuellement, Gal*Gun 2 mise tout sur son esthétique anime et ses modèles féminins hyper stylisés. Chaque personnage féminin bénéficie d’un soin disproportionné par rapport au reste de l’univers graphique, avec des animations expressives, des effets de lumière localisés, et une palette de couleurs éclatante dédiée à mettre en valeur les poses et les effets de caméra suggestifs. Mais cet effort ciblé révèle surtout un déséquilibre structurel : l’environnement, les décors et les arrière-plans accusent un retard flagrant.
Les intérieurs se répètent à l’envi : mêmes salles de classe, mêmes couloirs, mêmes jardins sans âme. Les textures sont lisses, ternes, et trahissent un manque évident de budget ou d’ambition pour construire un monde crédible. Aucun objet, aucun élément de décor ne semble intégré à une vraie vie scolaire. Tout respire la redondance d’un moteur paresseusement exploité, où l’on duplique au lieu de varier. Pire encore : la faible distance d’affichage, les pop-ins réguliers et l’absence totale de vie environnementale rendent l’univers vide et déshumanisé.
Les animations, en dehors de quelques effets de tir ou d’explosion de phéromones, restent limitées et souvent rigides. Les transitions entre poses, les expressions figées, et les mouvements saccadés trahissent une production plus proche du roman graphique animé que du jeu d’action dynamique. Même les phases “intenses”, censées faire monter la tension, ne dégagent aucune énergie visuelle.
Côté audio, le constat n’est guère plus flatteur. Les musiques d’ambiance, ultra répétitives, oscillent entre j-pop insipide et boucles de fond génériques. Aucun thème ne marque, aucun accompagnement ne vient souligner l’action. Les bruitages se contentent de ponctuer mécaniquement les tirs, les cris et les réactions exagérées, sans subtilité ni variété.
Seul point à relever : les doublages, en japonais, sont assurés avec un professionnalisme certain. Les actrices vocales offrent des performances techniquement convaincantes, mais à nouveau écrasées par la direction artistique globalement indigente. La voix ne suffit pas à insuffler de la vie à des personnages sans existence.
Un conditionnement sans contenu
Au-delà de ses choix artistiques et mécaniques, Gal*Gun 2 se distingue par la pauvreté de son contenu global. Le jeu propose bien une série de missions secondaires et un système de gestion de relations, mais l’un comme l’autre se révèlent purement cosmétiques. Ces objectifs additionnels ne débouchent sur aucune réelle progression ni sur une diversité de gameplay notable. Le joueur se retrouve rapidement à enchaîner les mêmes séquences, dans les mêmes lieux, pour débloquer des dialogues sans impact et des tenues toujours plus suggestives.
Le système de scoring, censé encourager la rejouabilité, n’offre aucune récompense concrète au-delà de quelques accessoires ou filtres visuels. Le sentiment d’accomplissement disparaît dès que l’on réalise que tout se résume à une accumulation sans finalité, dans un environnement qui recycle ses propres assets ad nauseam. Aucune forme d’évolution, de personnalisation ou de défi ne vient relancer l’expérience une fois passée la première heure.
Sur Nintendo Switch, les performances techniques peinent à se maintenir, malgré l’extrême légèreté du moteur. Les ralentissements sont fréquents, les chutes de framerate apparaissent dès que plusieurs personnages sont à l’écran, et les temps de chargement trahissent une optimisation minimale. Aucun mode spécifique à la console, aucun bonus, aucune utilisation du tactile ou du gyroscope ne vient justifier une édition dédiée.
En matière d’accessibilité, Gal*Gun 2 se montre également peu concerné. Les options de confort sont réduites à leur plus simple expression, les textes ne bénéficient que d’une traduction anglaise, et aucune aide contextuelle ne vient guider les néophytes. Ce n’est ni un jeu conçu pour tous, ni un produit adapté à une niche exigeante.
La présence du titre sur l’eShop de Nintendo pose enfin une question éthique. Que Gal*Gun 2 existe dans un marché ouvert est une chose. Qu’il figure aux côtés de productions familiales sur une plateforme historiquement tournée vers le grand public en est une autre. Aucun filtre, aucune mise en garde, aucune distance critique ne semble encadrer sa diffusion. Un constat qui interroge autant sur la politique éditoriale que sur la responsabilité des plateformes de distribution.
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