Dans l’ombre des mascottes surmédiatisées de l’ère 16-bit sommeillent parfois des étoiles oubliées, prêtes à s’embraser à nouveau. Freedom Planet, né en 2014 sur PC, est de ces jeux qui, à défaut de grandes campagnes marketing, ont su conquérir le cœur d’une communauté à force de sincérité et d’éclats. Pensé à l’origine comme un hommage explicite aux Sonic the Hedgehog des années Mega Drive, le projet de GalaxyTrail a lentement muté pour devenir une aventure singulière, portée par un univers original, une narration surprenante et une esthétique délicieusement rétro.
Sorti sur Nintendo Switch le 30 août 2018, ce jeu de plateforme énergique fait figure d’incontournable pour tous les amateurs de vitesse, de routes alternatives et de gameplay enlevé. Mais derrière ses airs de clone nostalgique, Freedom Planet a-t-il vraiment les crocs pour se frayer une place durable sur l’eShop, dix ans après ses débuts ? Le jeu est-il plus qu’un hommage ? Est-il une proposition à part entière, capable de rivaliser avec les classiques qu’il admire tant ?
Les lueurs de la Pierre du Royaume
Derrière ses couleurs vives et ses mécaniques supersoniques, Freedom Planet cache une aventure étonnamment dense, presque mélodramatique, qui tranche avec la simplicité scénaristique de ses modèles des années 90. Vous y incarnez Lilac, une dragonne au tempérament fougueux, épaulée par Carol, une féline rebelle, et Milla, une chienne timide mais dotée de pouvoirs psychiques. Ensemble, elles affrontent la menace grandissante d’Arktivus Brevon, un seigneur galactique aussi sinistre que déterminé à s’emparer de la Pierre du Royaume, source d’énergie convoitée par toutes les nations du monde de Avalice.
Là où Freedom Planet surprend, c’est dans sa capacité à instiller une véritable tension dramatique dans une structure de jeu de plateforme. Les dialogues sont nombreux, parfois très verbeux, mais ils tissent des relations fortes entre les personnages, dévoilant leurs failles, leurs convictions, et leur loyauté mutuelle. Lilac n’est pas juste une héroïne rapide ; c’est une figure chevaleresque en proie au doute. Carol, sous ses airs de dure à cuire, cache une grande fragilité émotionnelle. Et Milla, malgré son apparente naïveté, devient un symbole d’innocence confrontée à la guerre.
Le mode Aventure s’apparente à une véritable série animée découpée en chapitres, avec ses scènes d’exposition, ses pics de tension, et une mise en scène assumée malgré les limites techniques. Il est même possible de passer par un mode Classique, dépourvu de cinématiques, pour ceux qui préfèrent la vitesse à l’émotion. Mais ce serait passer à côté de l’un des récits les plus riches du genre, particulièrement dans la sphère indépendante.
Certains dialogues souffrent toutefois d’un ton parfois trop enfantin ou maladroit, et le doublage – bien que louable dans son ambition – montre des signes d’inégalités notables. Reste que l’ensemble fonctionne, porté par un univers cohérent et une galerie de personnages dont le charisme transcende le cadre du simple hommage nostalgique.
Vitesse, verticalité et virtuosité pixelisée
Freedom Planet est souvent comparé à Sonic the Hedgehog, mais cette analogie, bien qu’évidente dans le rythme effréné des séquences de plateforme, ne rend pas justice à l’ambition mécanique du titre. Là où la licence du hérisson se contente généralement de lignes droites entrecoupées de loopings, le jeu de GalaxyTrail propose des niveaux plus complexes, plus verticaux, et bien plus riches en secrets. Chaque zone devient un dédale en trois dimensions où se superposent routes principales, chemins cachés, plateformes mouvantes et interrupteurs à activer.
Les sensations de vitesse sont bien présentes, mais ne représentent qu’une facette du gameplay. Les niveaux invitent également à l’exploration méthodique, et réservent de nombreuses surprises aux joueurs curieux. Ce level design organique encourage une rejouabilité systématique, d’autant plus qu’il est possible de parcourir l’intégralité du jeu avec trois personnages distincts, chacun possédant des compétences spécifiques influençant fortement la navigation et la manière d’aborder les ennemis.
Lilac, par exemple, peut effectuer un dash aérien tourbillonnant pour franchir de longues distances ou escalader les pentes. Carol, elle, bénéficie d’un système d’escalade et peut piloter une moto sur certains segments, décuplant sa vitesse et sa mobilité. Quant à Milla, elle privilégie une approche défensive et stratégique, créant des boucliers d’énergie ou utilisant des blocs de terrain comme projectiles. Le résultat est un équilibre fin entre combat, plateforme, et gestion d’espace, toujours dynamique et rarement répétitif.
Les affrontements contre les ennemis de base sont assez classiques, mais le jeu prend une tout autre dimension avec ses boss, nombreux, variés, et souvent impressionnants. Chaque boss bénéficie de patterns uniques qui exigent une vraie mémorisation et une bonne maîtrise des déplacements. Ces séquences culminantes se présentent presque comme de petites énigmes mécaniques où chaque personnage peut exploiter ses forces… ou subir cruellement ses faiblesses.
Le jeu propose également deux modes de progression : le mode Aventure, enrichi de dialogues et de cinématiques, et le mode Classique, plus direct et adapté au speedrun. Ce choix laisse une liberté bienvenue, aussi bien pour les amateurs de narration que pour les puristes de la plateforme.
Reste quelques légers défauts d’ergonomie, notamment dans les menus ou la gestion de certaines hitboxes parfois un peu floues. Mais rien qui n’entame réellement la qualité globale du game design, d’une précision étonnante pour un projet initialement amateur.
Un hommage 16-bit en technicolor frénétique
Dans un paysage vidéoludique où le pixel art peut parfois sembler galvaudé ou paresseusement invoqué comme simple effet de style rétro, Freedom Planet choisit l’excellence. Le jeu de GalaxyTrail rend un hommage flamboyant à l’esthétique 16-bit de la Sega Mega Drive, mais avec une finesse de détails et une palette de couleurs que ses aînés ne pouvaient techniquement pas offrir. Il en résulte une direction artistique survoltée, où chaque niveau explose de personnalité, de teintes vives et de compositions soignées.
Chaque environnement est singulier et immédiatement reconnaissable : les cavernes de magma, les forêts luxuriantes ou les temples flottants témoignent d’un réel effort de renouvellement visuel, porté par un sens aigu du rythme graphique. Les arrière-plans multiplient les effets parallaxe, les animations sont d’une fluidité impressionnante, et les personnages bénéficient d’un character design expressif et cohérent, aussi bien pendant les phases de gameplay que dans les cinématiques.
Le tout est servi par des effets visuels dynamiques, notamment lors des attaques spéciales, des explosions ou des transitions de niveau. L’aspect visuel ne se contente pas de flatter la rétine : il soutient et amplifie le rythme effréné de l’action.
Côté audio, Freedom Planet se distingue tout autant grâce à la bande-son composée par Leila “Woofle” Wilson, qui livre ici l’une des OST les plus marquantes de la scène indépendante. Les compositions mêlent avec brio énergie, nostalgie et virtuosité mélodique, avec des morceaux qui oscillent entre techno effervescente, synthwave nostalgique et envolées orchestrales épiques.
Chaque piste colle à la perfection au niveau qu’elle accompagne, renforçant l’atmosphère et l’identité propre de chaque zone. On retient notamment les thèmes de Dragon Valley ou Relic Maze, véritables earworms qui n’ont rien à envier aux meilleurs niveaux de Sonic 3 ou Rocket Knight Adventures.
Le doublage, bien qu’inégal comme évoqué précédemment, participe à cette dynamique, avec des voix souvent convaincantes, malgré quelques approximations. Surtout, il contribue à renforcer l’identité narrative de l’œuvre, en donnant de l’ampleur aux dialogues et à l’univers.
Un moteur bien huilé pour une aventure prolongée
Sous ses atours rétro et son gameplay millimétré, Freedom Planet cache une générosité structurelle qui décuple sa valeur de rejouabilité. Le titre propose plusieurs modes de jeu qui viennent prolonger l’expérience bien au-delà de la simple campagne. Le mode Classique permet ainsi de jouer tous les niveaux à la suite sans les cinématiques, pour ceux qui privilégient la pure vitesse et la performance. Le mode Time Attack, quant à lui, pousse les joueurs les plus chevronnés à battre leurs propres records, niveau par niveau, en optimisant chaque saut, chaque dash, chaque raccourci.
Les performances techniques sur Nintendo Switch sont quant à elles impeccables : aucun ralentissement, temps de chargement réduits, et commandes toujours réactives — même dans les moments les plus intenses. Que ce soit en docké ou en portable, le jeu conserve une fluidité constante à 60 images par seconde, ce qui s’avère capital dans un jeu où la précision est reine.
En matière de confort de jeu, on note également un mapping de touches personnalisable, ce qui permet d’adapter le gameplay aux préférences de chacun. Le menu des options, bien que sommaire, fait le strict nécessaire : ajustement du volume, de la luminosité, activation ou non des dialogues. Une simplicité fonctionnelle à l’image de l’expérience proposée.
Côté contenu, on regrette l’absence d’options d’accessibilité avancées, qui pourraient faciliter la prise en main pour les plus jeunes ou les joueurs à besoins spécifiques. Pas de mode facile, pas d’aide à la navigation, et encore moins de sous-titres adaptables. Toutefois, le design clair et lisible, l’absence de surabondance textuelle, et la structure intuitive des niveaux permettent tout de même une bonne accessibilité de base.
Enfin, notons que si Freedom Planet ne propose pas de multijoueur, ni de leaderboards en ligne, il compense largement par la richesse de ses trois campagnes, chacune dédiée à un personnage avec un gameplay distinct, des dialogues propres et même des cinématiques modifiées. Cette approche transforme ce qui aurait pu être un simple changement de skin en véritables expériences complémentaires.
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