Fantasme d’archive ou farce éditoriale ? Avec la réédition de Felix the Cat sur Nintendo Switch, Konami, en partenariat avec Limited Run Games, exhume un double vestige vidéoludique issu d’une époque où la mascotte noire et blanche riait encore en 8 bits. Sortis initialement en 1992 sur NES et GameBoy, ces deux titres composent une compilation sans fioriture ni ambition, lancée le 28 mars 2024, comme un clin d’œil égaré adressé à une génération qui, pour beaucoup, n’a jamais connu le personnage autrement que dans un écho de mémoire poussiéreuse.
Car si la nostalgie demeure un levier puissant dans l’industrie, encore faut-il que son objet ait conservé une résonance. Or, Felix, icône des années 1920 déjà anachronique dans les années 90, ressurgit aujourd’hui sans actualité, sans projet connexe, sans demande manifeste. Un spectre du cartoon muet, propulsé dans un marché saturé de remasters, de compilations ambitieuses et d’hommages bien mieux négociés. Dès lors, une question s’impose : pourquoi Felix, et pourquoi maintenant ? La réponse, aussi floue que les contours de l’édition elle-même, semble se perdre entre opportunisme éditorial et recyclage désenchanté.
Le chat sans voix et les souvenirs pixelisés
Le Felix the Cat vidéoludique ne raconte pas une histoire au sens traditionnel du terme. Il mime, il rebondit, il avance. Dans la version NES comme dans son adaptation GameBoy, Felix se lance à la rescousse de sa dulcinée en traversant des niveaux thématiques peuplés d’ennemis génériques, armé de ses gadgets issus de son sac magique. C’est un prétexte d’époque, un canevas sommaire sur lequel viennent se greffer des mécaniques rudimentaires. Loin de l’élégance burlesque du dessin animé d’origine, le jeu se contente de répéter l’idée sans jamais en retrouver l’élan narratif.
L’icône du cinéma muet devient ici un avatar silencieux, piégé dans une structure linéaire sans surprise. Aucun dialogue, aucun texte scénarisé, aucune progression émotionnelle ne viennent enrichir le parcours. Le charme, s’il existe, tient dans les clins d’œil visuels — un véhicule absurde, une animation faciale exagérée, une métamorphose soudaine — mais l’ensemble demeure purement fonctionnel. On saute, on tire, on passe au niveau suivant. La magie du personnage, déjà lointaine, s’estompe dans une abstraction mécanique.
Cette absence de substance narrative n’était pas une exception en 1992, mais elle devient plus pesante aujourd’hui, à l’heure où même les remasters rétro intègrent souvent des carnets de croquis, des galeries, ou des contextualisations enrichies. Ici, aucune archive, aucune trace de production, aucun contenu éditorial n’accompagne la redécouverte. L’oubli reste intact. Le personnage, déjà oublié par le grand public, traverse l’écran comme une ombre vide de sens.
Rien ne vient ranimer l’univers de Felix, aucune mise en perspective ne cherche à justifier sa présence dans le paysage vidéoludique actuel. Il s’agit simplement d’un portage brut, presque clinique, comme si l’on avait tiré au sort un vieux jeu sans se demander s’il avait encore quelque chose à dire. Une aventure sans souffle, qui ne propose ni réécriture ni relecture, et qui laisse Felix figé dans son époque, à la fois spectateur et victime d’un retour dont il n’a jamais été le héros.
Les gadgets d’hier dans la vitrine d’aujourd’hui
Felix the Cat, dans ses versions NES et GameBoy, repose sur une structure de plateforme classique, rythmée par des niveaux linéaires et une progression fondée sur la collecte de symboles magiques. Chaque monde propose un enchaînement de décors variés — jungle, désert, monde aquatique — où Felix, armé de son fameux sac à malices, déploie différents gadgets selon le nombre de power-ups collectés. Voiture volante, sous-marin, tapis volant ou tank miniature : chaque transformation agit comme un changement de projectile et de hitbox, sans révolutionner les mécaniques, mais en insufflant un minimum de variété visuelle.
La prise en main reste simple et fluide, dans les limites des standards de l’époque. Les sauts sont précis, les ennemis obéissent à des patterns lisibles, et la difficulté globale se maintient dans une zone accessible, presque bienveillante. C’est un jeu pensé pour un jeune public de 1992, ce qui explique l’absence de réel challenge ou de système de progression complexe. Il n’y a ni exploration poussée, ni mécanismes cachés, ni embranchements narratifs : simplement un enchaînement de niveaux courts, ponctués de boss peu marquants.
La version GameBoy, quant à elle, reproduit fidèlement la structure de la NES tout en la compressant. Les sprites y sont plus petits, l’animation plus limitée, mais l’essence du gameplay est conservée. Cette déclinaison portable, malgré ses limites techniques, faisait sens à l’époque. Aujourd’hui, réunir les deux dans une compilation sans autre articulation que le menu principal crée une impression de redondance immédiate. Deux fois le même jeu, deux fois les mêmes mécaniques, deux fois la même boucle — sans proposition éditoriale pour justifier cette dualité.
Les rares ajouts modernes — sauvegarde rapide, retour en arrière, filtres CRT ou monochrome — agissent comme des rustines sur une structure qui n’a pas été pensée pour durer. La possibilité de remonter le temps de quelques secondes limite la frustration sur certains passages, et les sauvegardes d’état offrent un confort indéniable. Mais ces options sont devenues banales, intégrées par défaut dans la plupart des émulations actuelles, et ne suffisent plus à revendiquer une valeur ajoutée significative.
Pire encore, les filtres visuels censés reproduire les écrans d’époque — balayage cathodique pour la NES, filtre vert pour la GameBoy — réduisent la lisibilité, en particulier en mode portable. Là où d’autres compilations exploitent ces effets pour valoriser l’esthétique rétro, Felix the Cat les utilise sans nuance, au point de nuire à la clarté du gameplay. Une fonctionnalité que l’on désactive vite, et qui trahit une forme d’incompréhension de l’expérience utilisateur actuelle.
Le rétro sans mémoire et l’édition sans engagement
Il y a dans cette compilation Felix the Cat une étrange dissonance entre l’intention de ressusciter un classique oublié et le soin réellement accordé à cette résurrection. Sur le plan visuel, rien n’a été repensé, retravaillé ou recontextualisé. Les deux jeux sont proposés dans leur forme d’origine, simplement mis à l’échelle pour s’adapter aux écrans modernes. Les pixels sont nets, les couleurs respectées, mais aucun travail de restauration n’apporte ce supplément d’âme que l’on retrouve dans d’autres collections du même genre.
Les filtres CRT pour la version NES, et les effets monochromes verdâtres pour la version GameBoy, font figure d’accessoires décoratifs plus que de véritables outils de valorisation. Loin d’enrichir l’expérience, ils tendent à affaiblir la lisibilité de l’action, surtout en mode portable, et ne sont jamais accompagnés de réglages fins permettant une personnalisation appréciable. Ces filtres, censés évoquer les sensations de jeu sur tube cathodique, finissent par donner une image floue, artificielle, et contre-productive.
La bande-son, quant à elle, est fidèle aux compositions originales : des thèmes chiptune joyeux, légers, répétitifs, aux accents cartoon assumés. Chaque monde dispose de son motif musical propre, et l’ambiance sonore correspond parfaitement à l’univers enfantin de Felix. Mais là encore, aucun remaster audio, aucun bonus, aucun mode “jukebox” ne vient sublimer ce patrimoine sonore. L’hommage reste strictement utilitaire, presque figé, comme s’il ne fallait surtout rien toucher.
Aucune archive graphique, aucune galerie, aucune notice d’époque scannée ne vient enrichir le contenu. Le joueur n’a accès à aucun document de production, aucune anecdote, aucun habillage éditorial. Contrairement aux Cowabunga Collection, Castlevania Anniversary ou même Sonic Origins, cette édition ne raconte rien de l’histoire du jeu, de son contexte, ou de l’équipe qui l’a conçu. La nostalgie y est invoquée comme un réflexe creux, sans profondeur ni mise en scène.
Il en résulte une compilation qui, visuellement et auditivement, remplit sa fonction mais sans ambition. Ni modernisée, ni vraiment valorisée, cette édition laisse les jeux tels quels, comme des reliques posées sur une étagère numérique. Elles existent, certes. Mais elles n’ont rien à dire, rien à montrer, rien à transmettre. Ce silence éditorial, dans un secteur où le rétro est désormais scénarisé, incarné, et chéri, en dit long sur l’engagement réel de Konami dans cette réédition.
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