À la croisée des flux d’énergie spirituelle et des néons acidulés de Taipei, un combat invisible redessine les frontières du réel. Vous n’êtes plus simplement un joueur : vous êtes le témoin d’un monde fendu entre deux dimensions, où les esprits, les Dieux et les étudiants cohabitent sous le regard indifférent des passants. Dusk Diver 2, suite directe du premier épisode signé Wanin Games, débarque sur Nintendo Switch depuis le 30 août 2022, avec la même ambition hybride : conjuguer l’urbanité taïwanaise à un A-RPG furieux, profondément ancré dans une esthétique pop, chamarrée et mystique.
Mais loin d’être une simple redite ou un produit sans personnalité, cette seconde incursion dans l’univers de Yumo multiplie les ambitions. Nouveau moteur, structure de gameplay élargie, mécaniques revisitées, personnages jouables supplémentaires… Dusk Diver 2 cherche à faire mieux que son aîné sur tous les fronts. À tel point que l’on pourrait se demander si cette œuvre interdimensionnelle n’est pas, dans ses meilleurs instants, ce que serait un Persona moins scolaire et plus tactile, réinterprété à la sauce taïwanaise.
Reste à savoir si cette ambition dévorante permet à la série de franchir un véritable cap, ou si le jeu se perd dans la brume ésotérique qu’il convoque. L’heure est venue d’entrer une nouvelle fois dans les interstices du réel.
Les échos du réel, le poids de l’au-delà
Vous incarnez Yang Yumo, étudiante ordinaire et guerrière de l’impossible, dont l’existence se partage entre les bancs de l’université et les failles dimensionnelles tapies dans l’ombre du quartier de Ximending. Depuis les événements du premier Dusk Diver, la menace latente des Chaos Beasts ne s’est jamais véritablement dissipée. Au contraire : de nouvelles perturbations énergétiques, inexplicables, agitent la ville. L’équilibre est fragile, et Yumo — toujours accompagnée de ses trois gardiens — doit une fois de plus faire face à un danger qui dépasse l’entendement humain.
L’histoire de Dusk Diver 2 ne se contente pas de prolonger les fils narratifs du premier opus. Elle les densifie, les croise, les tord, au point de tisser un récit où la notion même d’identité devient floue. De nouveaux personnages s’invitent dans le ballet surnaturel, certains bienveillants, d’autres porteurs de vérités déstabilisantes. En particulier, l’apparition d’une autre Diver aux objectifs troubles rebat les cartes d’un équilibre déjà vacillant. Ce n’est pas tant une opposition classique entre le bien et le mal, mais un jeu d’échos, de doubles, d’altérations, où chaque certitude est bousculée par l’émergence d’un autre regard.
La narration adopte un rythme particulier : intensément verbeuse, méthodique, volontairement saturée de dialogues. Chaque scène s’étire, explore, digresse, avec une obsession constante du détail. Ce choix stylistique s’avère cohérent avec l’univers de Dusk Diver 2, qui préfère le foisonnement au minimalisme. Ce n’est pas un récit qui vous prend par la main : c’est une fresque dense, traversée par des échanges rituels, des introspections existentielles, et une écriture qui repose sur la suggestion plus que sur l’explication.
L’univers est riche, cohérent, mais exigeant. Les joueurs n’ayant pas arpenté les rues surnaturelles du premier opus se retrouvent projetés dans un monde déjà en mouvement, sans récapitulatif ni synthèse. Le jeu ne prend pas le temps de réintroduire ses enjeux ou ses protagonistes. À vous de faire l’effort d’embrasser cette continuité narrative, de saisir les nuances des relations passées, et de reconstruire, pièce par pièce, l’histoire en cours.
Pourtant, Dusk Diver 2 évite l’élitisme. La traduction française est d’une qualité remarquable, limpide, expressive, fluide. Elle permet à tous les joueurs, y compris ceux moins familiers avec l’anglais ou le chinois, d’entrer pleinement dans cet univers composite. Et si certains arcs peuvent sembler obscurs, l’intrigue principale se révèle surprenante, ponctuée de révélations marquantes, qui renouvellent régulièrement l’attention du joueur. Le titre ne cherche jamais à singer Persona ou d’autres mastodontes du genre. Il affirme, au contraire, une voix propre, chargée d’une énergie à la fois urbaine et spirituelle, où chaque protagoniste incarne une facette de la lutte intérieure que mène Yumo.
Danse effervescente au cœur des failles
Dusk Diver 2 prend la forme d’un A-RPG en temps réel, articulé autour d’affrontements effervescents dans des arènes semi-fermées, et de phases d’exploration plus calmes dans les rues de Taipei. Là où son prédécesseur s’en tenait à une héroïne entourée de protecteurs convoqués à l’envi, cette suite fait exploser la structure : toute l’équipe est désormais jouable, en temps réel, avec la possibilité de changer de personnage à la volée.
Ce changement de paradigme transforme le rythme du jeu. Yumo ne combat plus seule. Léo, Le Viada et Bahet sont pleinement intégrés à l’action, chacun disposant de son propre style, de ses combos distincts, et d’une dynamique de gameplay bien définie. Cette approche encourage une expérimentation constante : alterner les membres du groupe devient plus qu’une option stratégique, c’est un moteur de variété dans les affrontements.
Mais cette richesse mécanique s’accompagne d’un certain désordre. Les combats, nombreux, se révèlent souvent chaotiques, avec des effets visuels clinquants, des ennemis qui saturent l’écran et une lisibilité parfois compromise. Le système de combo est fluide, les attaques spéciales impressionnantes, mais l’ensemble manque parfois de respiration. Très vite, le jeu favorise les assauts en force, reléguant la subtilité tactique à l’arrière-plan. D’autant plus que les compagnons dirigés par l’IA peinent à suivre, multipliant les erreurs de positionnement ou les moments d’inertie totale. Leur impact au combat reste limité, malgré l’intention évidente de leur donner un vrai rôle.
Cette tension entre ambition et exécution se retrouve dans la construction des ennemis. Beaucoup d’adversaires sont de véritables piliers de vitalité, absorbant les coups avec une endurance presque excessive, et infligeant des attaques puissantes dans des zones peu prévisibles. Résultat : les combats prennent une tournure plus éprouvante qu’intense, où l’enchaînement des combos se heurte à des murs de résistance, sans que la courbe de difficulté ne soit parfaitement équilibrée.
Mais le jeu ne se limite pas à ses escarmouches. L’exploration occupe une place importante, avec des zones urbaines ouvertes à la visite entre deux expéditions dans les failles. Ces instants de répit permettent d’approfondir les liens avec les alliés, d’accepter des quêtes annexes, ou simplement de s’immerger dans une reconstitution de Taipei foisonnante de détails. Manger dans des restaurants locaux n’est pas qu’un folklore décoratif : cela apporte des bonus spécifiques pour les combats suivants, créant une boucle de gameplay organique entre quotidien et surnaturel.
Enfin, mention spéciale à la New Game +, qui offre un contenu narratif enrichi, de nouveaux personnages jouables et des quêtes inédites. Ce n’est pas une simple rejouabilité cosmétique, mais une véritable seconde lecture du jeu, qui prolonge la durée de vie et la densité narrative d’un titre déjà généreux.
L’esthétique d’un monde brisé aux reflets saturés
Dusk Diver 2 revendique dès ses premiers instants une direction artistique éclatante, flamboyante, profondément urbaine. Inspiré par le réel autant que par la fantasmagorie, le jeu juxtapose deux dimensions avec une identité visuelle marquée : le Taipei quotidien et tangible d’un côté, et les interzones surnaturelles, fractales, quasi-oniriques de l’autre. Cette dualité est la clef de son charme, et la mise en scène ne cesse de jouer sur ce contraste.
La ville réelle, Ximending, n’est pas un simple décor. Elle est modélisée avec un soin manifeste, fourmillant de détails, d’enseignes criardes, de ruelles secondaires, de restaurants typiques et d’espaces publics crédibles. Loin de l’imagerie japonaise dominante dans le genre, Dusk Diver 2 fait le choix fort d’ancrer son récit à Taïwan, et cette localisation donne une texture unique à l’ensemble. Ce n’est pas un Tokyo de synthèse, mais une relecture ludique d’un quartier vivant, visité, observé, recréé.
Dans les donjons dimensionnels, tout bascule. Le moteur graphique – bien plus solide que dans le premier opus – déploie un univers psychédélique, saturé de couleurs violentes, de particules flottantes, de distorsions visuelles contrôlées. Chaque zone a sa logique propre, tantôt inspirée d’une salle d’arcade en décomposition, tantôt d’un espace extérieur stylisé, dans un mélange constant entre géométrie mystique et chaos numérique. L’ensemble évoque par moments la surcharge sensorielle d’un No More Heroes, mêlée à la rigueur thématique d’un Persona — mais sans jamais se réduire à la copie.
Les personnages bénéficient également d’un traitement bien plus fin que dans le premier épisode. Le character design a gagné en maturité, avec des portraits 2D redessinés, expressifs, stylisés avec soin. Les modèles 3D, sans rivaliser avec les standards AAA, proposent néanmoins une belle harmonie entre stylisation anime et animations lisibles. Les effets visuels des combats sont explosifs, parfois au point de saturer l’écran, mais toujours porteurs d’une intention : rendre chaque affrontement spectaculaire, même lorsqu’il oppose une héroïne à un monstre sans nom.
Côté sonore, la bande-son oscille entre rythmes électro nerveux, thèmes plus doux pour les phases calmes, et compositions dynamiques pour les moments de tension narrative. L’ambiance musicale accompagne sans jamais s’imposer, avec des variations pertinentes selon les zones explorées. Les doublages chinois apportent une saveur authentique à l’ensemble, et le mixage permet de suivre chaque ligne de dialogue avec clarté. Les bruitages, quant à eux, renforcent la sensation de chaos lors des combats, avec des impacts tranchants et une spatialisation efficace, même sur Switch.
Fragments d’interface et reflets de structure
Au-delà de son récit dimensionnel et de son gameplay percutant, Dusk Diver 2 peaufine une série d’éléments périphériques qui renforcent sa structure générale. Le jeu, pensé pour une expérience solo complète, se montre étonnamment généreux en contenu, sans recourir à l’artifice du monde ouvert ou à la répétition creuse.
Sur Nintendo Switch, la performance est stable, bien qu’un cran en deçà des versions PlayStation et PC. Le framerate reste fluide en dehors des combats les plus denses, avec quelques ralentissements ponctuels lors des effets les plus saturés. La lisibilité de l’action est parfois altérée sur l’écran portable, mais le jeu reste parfaitement jouable, et conserve une identité visuelle forte malgré les concessions graphiques.
L’interface de jeu, volontairement stylisée, est fonctionnelle, claire et bien hiérarchisée. Les tutoriels abondants peuvent sembler redondants au fil de la progression, mais leur exhaustivité permet d’éclaircir des systèmes parfois plus complexes qu’il n’y paraît. Curieusement, cette profusion d’explications tranche avec l’absence quasi totale de résumé narratif, ce qui crée un décalage entre accessibilité ludique et exigence scénaristique.
Côté contenu secondaire, Dusk Diver 2 intègre de nombreuses quêtes annexes, principalement centrées sur les relations entre les personnages, ou sur des missions de collecte au sein de la ville réelle. Bien qu’inégales, ces quêtes nourrissent le quotidien de Yumo, et donnent au quartier de Ximending une forme de vie parallèle, plus apaisée. L’exploration des restaurants, avec leurs plats typés et leurs effets temporaires, s’inscrit dans une boucle plaisante, à la fois ludique et culturelle. Chaque assiette devient une stratégie, chaque choix culinaire un biais d’optimisation.
Enfin, le New Game + redonne un second souffle à l’expérience. Loin d’être une simple relecture, cette seconde partie offre de nouveaux arcs narratifs, des personnages jouables supplémentaires, et une réorganisation des missions, confirmant la générosité du titre. Pour qui s’immerge dans ses codes, Dusk Diver 2 se déploie sur plusieurs dizaines d’heures, sans jamais diluer son identité.
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