Il arrive parfois que les promesses soient si vastes qu’elles finissent par se désagréger sous leur propre poids. Avec Dungeons of Sundaria, paru le 12 décembre 2023 sur Xbox Series, le studio Industry Games ambitionne une percée spectaculaire, offrant une plongée profonde dans les entrailles d’un monde souterrain composé de huit donjons interconnectés, vastes, complexes et parsemés de dangers. Fort de ses précédents essais – Zeu’s Battlegrounds, Kings and Heroes – le studio indépendant américain rassemble ici toutes ses obsessions dans une expérience coopérative teintée d’action-RPG.
Le concept, sur le papier, appelle à la nostalgie des grandes heures du dungeon crawling classique. Un avatar forgé selon votre fantaisie, des couloirs sombres, des monstres à terrasser, des coffres à piller, et des arbres de compétences à faire évoluer au fil des découvertes. L’ambition se lit dans la diversité des environnements, dans les options de personnalisation, dans la possibilité de jouer en coopération locale ou en ligne. Chaque donjon, immense et modulable, promet des heures de défis, de loot et d’exploration.
Mais derrière ces fondations, un autre tableau commence à se dessiner. Un tableau où les textures se superposent sans logique, où la construction semble davantage guidée par l’accumulation que par la cohérence, et où l’exécution peine à suivre l’élan créatif. Dungeons of Sundaria pose alors une question bien plus grande que son propre titre : jusqu’où peut-on aller dans la démesure sans perdre l’essence même de ce qui fait un bon jeu de rôle ? Et à quel moment l’excès de contenu devient un labyrinthe dans lequel l’expérience elle-même se dissout ?
L’épopée creuse des héros sans passé
Dans Dungeons of Sundaria, le récit tient davantage de l’esquisse que du parchemin enluminé. Vous incarnez un aventurier sans histoire, tiré du néant pour explorer les profondeurs d’un monde fragmenté. À la croisée de plusieurs races jouables – humains, elfes, orcs ou autres créatures fantastiques – votre avatar surgit dans une cité réduite à sa plus simple expression, un hub fonctionnel où marchands, donneurs de quêtes et points de départ cohabitent sans lien véritable.
Le monde de Sundaria n’offre aucun socle narratif structurant. Il préfère juxtaposer des environnements et des créatures comme on aligne des tuiles sur un plateau sans règle. L’identité même des lieux s’efface derrière une logique d’enchaînement mécanique, où les donjons succèdent aux donjons, sans récit global, sans tension dramatique, sans fil rouge. Le jeu pose une trame implicite — un aventurier en quête de puissance — mais laisse les ambitions scénaristiques s’évaporer dans l’inertie de l’exploration.
Chaque donjon devient alors un théâtre sans dramaturgie, peuplé de figures composites et d’ennemis aux allures de pastiches. Le joueur avance, combat, récupère son butin, puis recommence, sans jamais croiser une voix qui marque, un regard qui accroche, un destin qui se dessine. Les personnages non jouables, pourtant nombreux, se contentent de lignes génériques, de dialogues minimalistes, et d’objectifs creux, limités à l’accomplissement de tâches répétitives.
Il en résulte une impression d’univers artificiel, déconnecté de toute profondeur mythologique. Le cadre n’oppose ni factions rivales, ni conflit fondateur. Aucun récit ne vient soutenir l’effort du joueur, et l’aventure, livrée sans repères ni enjeux émotionnels, s’appréhende comme une succession de salles à vider. L’absence de tension narrative transforme la progression en série de défis techniques, dénués de tout souffle épique.
Ce choix volontairement orienté vers le gameplay pur n’est pas problématique en soi, mais il limite les capacités d’attachement, de projection et de résonance émotionnelle. Dungeons of Sundaria ne raconte pas d’histoire ; il donne un décor à l’action, un prétexte à l’effort. C’est un monde sans mémoire, où chaque victoire s’oublie dès la salle suivante.
L’acier sans tranchant du labyrinthe sans fin
Dungeons of Sundaria s’inscrit dans la veine des action-RPG coopératifs où chaque héros, armé de sa volonté et d’un arsenal évolutif, s’enfonce dans des donjons de plus en plus profonds. La structure repose sur un principe limpide : huit donjons disponibles dès le début de l’aventure, chacun accessible librement et doté d’une difficulté variable. Ce choix d’ouverture totale place la progression sous le signe de la liberté tactique, et invite à une exploration personnalisée selon le rythme du joueur.
Chaque session commence dans le hub central, une ville simplifiée dans laquelle il est possible de préparer son équipement, accepter des quêtes et commercer. Ce point d’ancrage donne accès à la carte du monde, depuis laquelle les différents donjons peuvent être lancés. Ces derniers, vastes et segmentés, enchaînent les zones selon une logique modulable : cimetière, mine, temple enfoui, forêt souterraine, volcan… Chaque parcours semble vouloir surprendre en mêlant les styles et les biomes, à la manière d’un patchwork d’univers empilés.
L’exploration s’effectue à la troisième personne, avec une caméra libre et des contrôles pensés pour l’action directe. Le joueur avance dans les couloirs, affronte des vagues d’ennemis, trouve des coffres, récolte du loot, et gagne en puissance via l’amélioration de son équipement et l’attribution de points dans un arbre de talents. La diversité des classes proposées — mêlant corps-à-corps, distance et magie — élargit les styles de jeu disponibles, et permet d’adapter sa stratégie à la configuration des salles.
Le système de combat repose sur une attaque principale, une attaque secondaire, des compétences spéciales et des mouvements défensifs. Chaque classe dispose d’un panel unique : un tank peut bloquer les assauts, un mage contrôler une zone, un archer maintenir ses distances. Les affrontements, souvent en supériorité numérique, exigent de gérer son positionnement, d’observer les patterns ennemis, et de choisir le bon moment pour frapper ou se retirer.
Cependant, plusieurs éléments mécaniques viennent nuancer l’efficacité de l’ensemble. La précision des contrôles varie selon les classes, notamment à distance, et l’ergonomie des commandes sur manette peut provoquer un décalage entre l’intention et l’action. L’absence de lock-on automatique complexifie les visées précises, tandis que la lisibilité de certaines compétences demande un temps d’adaptation.
Le level design, quant à lui, privilégie la densité à la logique. Les donjons s’étendent sur des dizaines de minutes, enchaînant de multiples zones connectées, parfois selon des enchaînements surprenants. Ce choix donne lieu à des trajets longs, parfois labyrinthiques, où la variété des décors contraste avec une construction interne parfois déroutante. La recherche d’orientation devient un enjeu en soi, avec des allers-retours fréquents et des points de repère rares.
Les ennemis, issus de nombreux archétypes, alternent entre créatures classiques et entités plus insolites. Cette diversité visuelle crée un sentiment d’étrangeté permanente, accentué par les effets sonores et certaines animations inattendues. Ce mélange contribue à forger une expérience singulière, à mi-chemin entre la parodie involontaire et la tentative d’excentricité contrôlée.
Malgré ses intentions ambitieuses, Dungeons of Sundaria s’appuie sur une base de gameplay qui oscille entre accessibilité brute et volonté de complexité. L’expérience coopérative, en local ou en ligne, donne un sens nouveau aux combats et facilite la progression, en répartissant les rôles et en introduisant une synergie entre classes. C’est dans ce cadre que le titre livre ses meilleures sensations : dans l’expérimentation collective, les fous rires inattendus, et les affrontements déséquilibrés qui deviennent, à plusieurs, des souvenirs partagés.
Le théâtre flou des chimères égarées
Dans Dungeons of Sundaria, l’enveloppe visuelle s’articule autour d’un assemblage hétéroclite d’éléments graphiques issus de multiples inspirations. Chaque donjon adopte un thème distinct — cimetière, forêt souterraine, arène volcanique — et multiplie les variations esthétiques, jusqu’à produire une impression d’accumulation permanente. Ces environnements, vastes et densément peuplés, se succèdent avec une volonté manifeste de diversité visuelle, souvent spectaculaire dans leur démesure.
La direction artistique joue sur des contrastes forts : lumières surnaturelles, brumes colorées, murs ruisselants ou couloirs embrasés. Les textures, très marquées, dessinent des espaces stylisés où les éléments architecturaux s’imbriquent dans une logique qui défie parfois la cohérence géographique. Ce foisonnement donne aux donjons une allure presque onirique, comme si chaque décor était une vision extraite d’un rêve fragmenté.
Les personnages suivent ce même principe de collage visuel. Guerriers grotesques, créatures géantes, gladiateurs à têtes disproportionnées : le bestiaire explore toutes les gammes, entre la caricature assumée et l’hommage involontaire. Les animations, tantôt rigides, tantôt exagérées, renforcent cette esthétique baroque, où l’outrance visuelle devient un marqueur d’identité plus qu’un défaut.
Sur Xbox Series, le jeu affiche des performances fluctuantes selon la densité des scènes. Dans les donjons ouverts, la charge graphique peut entraîner une baisse de fluidité temporaire, tandis que les intérieurs plus restreints bénéficient d’un affichage plus stable. Les effets de lumière dynamique — flammes, reflets, auras — apportent par moments une lisibilité renforcée, même dans les zones plus sombres.
L’ambiance sonore repose sur une banque d’effets fournie, où se mêlent impacts d’armes, cris de monstres, éclats magiques et sons d’ambiance. Les combats s’accompagnent d’un ensemble audio marqué, chaque coup déclenchant une réponse claire et bruyante. Certains effets vocaux — notamment ceux de certaines invocations ou classes ennemies — semblent référencés, voire inspirés d’univers extérieurs, créant une résonance étrange et presque familière.
Les musiques, en arrière-plan, optent pour un accompagnement discret. Tambours sourds, nappes de cordes, motifs rythmiques : chaque donjon développe sa propre ambiance, sans jamais rompre le ton général. Le mixage reste lisible, avec une hiérarchisation nette entre bruitages, dialogues et ambiances.
Enfin, le doublage exploite différentes ressources selon les séquences. Certaines répliques bénéficient d’un traitement vocal reconnaissable, tandis que d’autres semblent issues de banques standards, donnant parfois aux dialogues une couleur légèrement décalée. Ce mélange participe au caractère atypique du jeu, entre pastiche visuel et composition sonore composite.
Sous la surface, les mécanismes grinçants du rêve cassé
En marge de ses mécaniques de jeu et de ses envolées visuelles, Dungeons of Sundaria déploie une structure technique et fonctionnelle aux ambitions affirmées. Le jeu propose un mode coopératif accessible en local comme en ligne, permettant à plusieurs joueurs d’unir leurs efforts dans l’exploration des donjons. Cette option constitue l’un des piliers du titre, et modifie profondément l’expérience, en transformant les parcours labyrinthiques en aventures partagées, ponctuées de coordination et de soutien mutuel.
Le contenu, centré autour de huit donjons principaux, s’étend sur des dizaines d’heures, porté par la longueur des niveaux, la densité des combats et les nombreuses allées secondaires à explorer. Cette abondance favorise la rejouabilité, notamment en variant les classes, les approches et les synergies de groupe. Chaque retour au hub permet de modifier son équipement, de réattribuer des talents ou de tester d’autres spécialisations.
Le jeu propose une création de personnage détaillée, avec choix de races, traits physiques et classes. Cette phase d’introduction, simple dans sa présentation, laisse néanmoins une marge de personnalisation suffisante pour construire un avatar unique. Le système d’évolution repose sur une combinaison de butin récolté, d’armes à améliorer et de compétences à débloquer, dans une logique d’optimisation constante.
D’un point de vue technique, Dungeons of Sundaria utilise un moteur maison qui affiche un rendu en 3D complet sur Xbox Series. Certains environnements très vastes sollicitent les ressources de la console, notamment lors de l’apparition simultanée de nombreux ennemis. Cette intensité ponctuelle génère des ralentissements passagers, particulièrement dans les donjons les plus ouverts. Les temps de chargement restent modérés, et les transitions entre les zones s’effectuent sans coupure brutale.
L’interface utilisateur suit une logique pensée pour le PC, avec un portage console qui conserve certaines traces de son origine. La navigation dans les menus demande une adaptation, notamment sur manette, où les assignations de touches peuvent surprendre dans un premier temps. Malgré cela, l’accès aux inventaires, à la carte et aux options reste fonctionnel, même si certaines commandes spécifiques peuvent nécessiter un repérage initial.
Enfin, le jeu bénéficie d’une traduction française intégrale, appliquée sur les textes, menus et dialogues. Le style varie d’un segment à l’autre, oscillant entre formulation standard et tournures plus libres, laissant supposer l’utilisation d’outils automatiques. Néanmoins, l’ensemble reste lisible, et permet de suivre l’action sans obstacle linguistique majeur.
0 commentaires