Des ténèbres aux étoiles est un roman de Marine Dargon paru aux Éditions Laska le 14 Juin 2023. Il se compose de 303 pages.

Plan de vie

Margot décide de quitter le Jura pour s’installer dans un petit village de Bretagne prénommé Huelgoat. C’est une couturière très fleur bleue, bercée par les Disney et autres contes de fées de son enfance. Elle espère que sa vie prendra un tout autre tournant en s’installant là.

Mais, en arrivant, elle découvre que les Huelgoatains sont méfiants envers elle et changent carrément de trottoir à son approche. Margot pense tout d’abord qu’elle doit prendre le temps de s’intégrer ; seulement, le temps à beau passer, rien ne change. Les gens ne se pressent pas tellement à l’atelier de couture non plus.

Un soir, alors qu’elle promène Gurval, le chien de sa voisine, les pas de Margot la conduisent machinalement jusque dans la forêt de Huelgoat. Devant la Grotte du Diable, elle se sent observée et a subitement des visions étranges. Apeurée, elle fait demi-tour avec Gurval.

En retournant de jour dans cette forêt, Margot fait la rencontre de Samuel devant la Grotte du Diable, un beau jeune homme qui ne la laisse pas indifférente. Elle imagine déjà son futur avec lui, persuadée que c’est le Destin qui l’a déposé sur sa route. Une fois que Samuel émerge dans le village avec Margot, les habitants deviennent véritablement défiants. Margot ne réalise pas que ce n’est pas elle le problème, mais lui…

 La suite de cette chronique contient du spoil ! Ne lisez pas si vous souhaitez garder la surprise !

Pervers narcissique démoniaque

Samuel séduit Margot et souhaite se mettre avec elle le plus rapidement possible. D’étranges phénomènes se produisent en sa présence, d’ordre occulte. C’est un pervers narcissique de la pire espèce qui use de chantage pour rester en couple avec Margot. Ses crises de colère sont terribles, agrémentées d’insectes surgis de nulle part, d’obscurité et d’impacts physiques. Il peut paralyser Margot et nie toute cette réalité tangible, prétextant que sa compagne est folle et s’imagine tout ça.

Il souhaite la détruire et se délecte de sa propre cruauté. Samuel espère l’engrosser très vite en répétant qu’il attendait ce moment depuis très longtemps. Pourtant, ils ne se connaissent que depuis quelques semaines. Il ne supporte pas qu’elle lui touche le front, la brime en permanence, alternant entre des crises de virulence et de séduction.

Margot tombe finalement enceinte à 23 ans. Sa voisine, Ysaline, la maîtresse de Gurval, la met en garde. Cet enfant ne doit pas naître. Margot la trouve bien cruelle et ignore son conseil.

Emprise et Destin

Samuel a, petit à petit, étendu son emprise. En obligeant Margot à quitter son travail, en l’installant dans un appartement à son nom, dont il paie le loyer. Il lui interdit de sortir à part pour faire les courses, l’empêche de coudre, menace mentalement ses parents.

Une fois enceinte, Samuel force Margot à tout nettoyer, encore et encore. Il l’oblige à récurer, se pencher, exige que son repas soit prêt et chaud quand il arrive. Il repart aussitôt, prétextant avoir du travail urgent. Il répète que toutes les femmes adoreraient être à sa place. Samuel aime voir Margot s’exténuer à la tâche et la trompe sans scrupules.

Ysaline lui demande d’aller accoucher ailleurs, pour leur sécurité. Margot comprend enfin (très tardivement) que Samuel représente un véritable danger pour elle et son fils. La notion de dépendance affective est très forte dans la relation avec un pervers narcissique, ce qui complique les ruptures. Ce dernier isole sa proie, la coupe de tous ses contacts sociaux et la prive de son indépendance. Il détruit toutes ses relations pour devenir le seul et l’unique auquel sa victime s’accroche. Plus cette dernière a de qualités, plus il sera alléché pour les détruire une à une, car il ne supporte pas d’en être dénué. En se mettant en couple avec une âme lumineuse, le PN s’approprie ses qualités comme si elles étaient siennes. Ici, le schéma est tout à fait exact : Sam choisit Margot qui est très lumineuse, la prive de son autonomie, l’oblige à s’éloigner de ses parents, intimide les Huelgoatains pour l’isoler davantage, la contraint à nettoyer en fin de grossesse pour lui faire mal, l’insulte, use de gaslighting pour semer la confusion mentale… Le fonctionnement du pervers narcissique est finement appliqué au gré du récit dans le personnage de Samuel.

Margot accepte de suivre Ysaline pour accoucher ailleurs, pressentant que c’est ce qu’elle doit faire. Elle baptise son fils Gabriel. Il a certes la beauté de son père, mais des cheveux blancs comme neige. Samuel, en le découvrant, se met très en colère. Il avait d’autres plans pour faire régner le mal et voilà que son fils est un être angélique. Il se sent trahi et n’en restera pas là !

Deuil infantile

Il faut savoir que l’auteure a perdu son fils en 2011. L’écriture est devenue un défouloir pour elle. Ici, elle dépeint la mort de Gabriel avec une honnêteté entière, authentique, sans faux-semblants.

Lorsque Gabriel s’éteint, Margot est détruite. Elle évoque la lourdeur du corps de son bébé, encore chaud quelques heures plus tôt, contre son sein. Le temps qui se délite, la souffrance. L’odeur de coton et de lait de son bébé, encore imprégné dans ses vêtements, qu’elle a rangés à part pour la préserver. Ses jouets étalés au sol avec lesquels il s’amusait un peu plus tôt, le nouveau siège bébé vide dans sa voiture… La douleur est suffocante… Margot doit vivre avec cette perte insurmontable… Toutes ses émotions sont puissantes, c’est un deuil externe et interne, de soi et en soi, quand on perd un enfant. Ce récit submerge, arrache des larmes bouillantes.

L’Entre-Deux

Margot attend désespérément la mort, qui ne vient pas. Son corps bouge, mais son âme s’est fracassée, elle n’est plus vraiment là. Les gens se permettent des mots odieux (approximativement, de mémoire) : « C’est mieux qu’il soit mort maintenant, ça aurait été plus dur si vous l’aviez connu. » « Mon petit-fils s’appelle Gabriel, alors je ne viendrai pas à l’enterrement. » « Vous êtes jeune, vous en ferez d’autres ! » Le médecin, qui la méprise en la découvrant sans conjoint ; dénué d’empathie, déclare : « Il est mort, mais soyez rassurée, il n’y a aucune anomalie génétique, vous êtes jeune, vous pourrez en avoir d’autres, si vous trouvez le papa pour les concevoir. » Une autopsie vaine, qui n’apporte aucune réponse et renforce l’injustice de cette tragédie.

Margot décide ensuite de mourir et s’y applique en percutant un camion sur une route verglacée. Mais elle n’y parvient pas tout à fait. Au lieu de mourir, elle atteint l’Entre-deux, entre la vie et la mort. Ici, les âmes convergent, accompagnées de leur propre ange gardien. Elle remarque toutes sortes d’âmes qui vont et viennent, l’endroit ressemble à une gare infinie. Dans ce lieu, elle fait tout d’abord la connaissance d’un vampire qui essaie de la débaucher, puis d’Adelin, son ange gardien qui l’extirpe de ses griffes.

On peut imaginer cet après comme une forme de catharsis qui donne un sens au deuil pour le surmonter. Margot apprend que Gabriel a déjoué les plans de Samuel qui est en réalité Samaël (ce qu’on devine dès le début entre la Grotte du Diable et les phénomènes) ; qu’il est devenu Archange désormais.

Après avoir rencontré Adelin, son premier Ange Gardien, Margot croise des fées, des elfes, des naïades… J’ai immédiatement pensé à mon film préféré « Au-delà de nos rêves », le livre est très bon aussi. Le scénario diffère de l’un à l’autre, mais aborde le deuil et l’au-delà. Le film avec Robin Williams est d’une poésie qui émeut le cœur et l’âme. Je pleure à chaque fois que je le vois. Si je le cite, c’est parce qu’il dépeint l’au-delà avec une beauté similaire, pétrie d’imagination, qui permet de rendre l’impossible possible.

Lilith

Outre Samaël, Margot rencontre Lilith. Cette Déesse est associée à la stérilité mais également considérée comme la toute première Vampire. La Mascarade l’a d’ailleurs implantée dans son lore en tant que telle. D’après les légendes, Lilith a quitté le jardin d’Eden en refusant d’y retourner. En châtiment, tous ses enfants sont morts à la naissance. Désespérée, Lilith est partie se suicider, mais les Anges l’ont prise en pitié et lui ont proposé un compromis à la place : tuer les enfants des autres. Lilith séduisit ensuite Samaël, le maître des Anges déchus. Sous sa forme de succube, elle donna naissance à des hordes de Démons pendant plus d’un siècle.

Petites incohérences

Ici, Samaël déclare que Lilith lui a été imposé, qu’il ne l’aime pas. D’après les divers textes, Lilith a bel et bien séduit Samaël, qui l’a épousée et s’est installé volontairement à ses côtés.

Margot transpire, pourtant, elle précise bien avant que la faim n’existe plus en tant qu’âme, ni la soif, le sommeil, la douleur physique… Puisque c’est un corps céleste, la sudation découle du système hormonal et n’est pas censée se produire. C’est un petit détail, qui peut néanmoins altérer l’essence de l’Entre-deux. La douleur ressurgit ensuite et atteint son corps physique.

Point qui demeure obscur : les humains ne sont pas censés connaître les plans divins alors pourquoi les Huelgoatains lui témoignaient une telle défiance ? Qu’Ysaline soit dans l’Entre-Deux, très bien, mais le village tout entier ? Tout le monde connaît donc Samaël ?

On introduit l’Ange Gardien de Margot, Adelin, sous forme de papillon blanc duveteux dans le monde physique. En arrivant dans l’Entre-deux, elle commence à en tomber amoureuse et, finalement, Venance s’impose comme étant son âme sœur. On nous explique que l’amour entre créatures est interdit, que ça déséquilibre les forces. Partant du principe que l’amour véhicule absolument tout, j’ai du mal à l’intégrer…

Il est mentionné un peu avant que les âmes qui appartiennent à la même famille se réincarnent ensemble : mère, enfant, père, meilleur ami, etc… La finalité concernant Venance me gêne un peu, même si Margot précise ses intentions avec bienveillance.

Hypnose et sensibilité médiumnique

Dans ce récit, la mort de Gabriel, bébé de 6 mois, se transforme en plan divin. Chaque personne à un Destin tout tracé ; cependant, si tout est écrit à l’avance excepté le suicide, il n’y a plus aucun libre arbitre, ce qui se heurte à la base même de ce principe.

Il est difficile de concevoir que des puissances supérieures décident d’accorder la vie à une âme pendant 6 mois avant de l’arracher, prétextant qu’elle s’est suffisamment bonifiée. Cela engendre au contraire du désespoir chez la maman qui ne peut que sombrer dans des ténèbres plus obscures, brisant son propre plan de vie. On ne surmonte pas forcément le deuil, certaines blessures demeurent à jamais.

Le Destin, je suis entièrement d’accord en ce qui concerne les grandes lignes. Toutefois, avec le libre arbitre, on peut modifier beaucoup de chemins.

La deuxième partie qui se déroule dans l’Entre-deux présente des longueurs. Puis, le récit parvient à revenir au présent, dans sa réalité physique 6 mois après l’accident. Margot n’est pas folle, elle a vécu une expérience de mort imminente avec tout ce que cela implique. Elle passe 18 mois en rééducation, puis découvre l’hypnose. Cette transe lui permet d’entrer en contact avec Adelin, avec une autre approche. Margot devient par la suite hypnothérapeute et se reconstruit année après année.

Je dois saluer la qualité de la plume. Tout est écrit avec beaucoup de fluidité, d’authenticité ; c’est un récit intime et vivant. Malheureusement, les Éditions Laska ferment définitivement leurs portes le 31 Décembre 2024. Espérons que Marine Dargon puisse nous faire voyager encore longtemps sous un autre label.