Dans un monde où les cendres de l’humanité fument encore, il fallait bien un héros sorti d’une fosse commune. Deadcraft, développé par Marvelous et édité par XSEED Games, vous met dans la peau putréfiée de Reid, survivant mi-humain, mi-zombie, prêt à transformer chaque cadavre en opportunité. Sur le papier : un savant mélange de survie, gestion, crafting et action, mâtiné d’un humour noir assumé. Sur Nintendo Switch : une expérience plus contrastée.
Mais cette fusion des genres donne-t-elle naissance à un hybride viable… ou à un rejeton instable, dévoré par ses propres ambitions ?
Chair vengeresse, récit en décomposition
Tout commence par une trahison. Une seringue. Une résurrection. Vous êtes Reid, moitié vivant, moitié charogne, et votre seul objectif est clair : la vengeance. Le décor est planté dans un monde ravagé par une apocalypse oubliée, peuplé de survivants cyniques, de gourous fanatiques et de charognards mal lunés. Sur le papier, l’idée fonctionne : une figure hybride tiraillée entre ses instincts et ses souvenirs, plongée dans un univers de ruine morale et biologique.
Mais Deadcraft ne creuse jamais vraiment. La dualité de Reid, pourtant centrale à l’expérience, reste en surface. Le personnage a le potentiel d’un anti-héros tragique, mais il est dessiné à gros traits, servi par des dialogues qui ne dépassent jamais le stade du cliché. Les figures secondaires — marchands, chefs de camps, sbires — existent davantage comme points d’intérêt fonctionnels que comme âmes distinctes. On progresse, on écoute, on oublie.
L’univers, lui, aurait pu offrir un terreau fertile à la dystopie grotesque. Mais le jeu s’arrête trop souvent à l’idée, sans jamais pousser son monde au-delà du prétexte ludique. Quelques fulgurances, notamment dans certains échanges ou détails d’ambiance, laissent entrevoir ce que Deadcraft aurait pu être avec un scénario plus affûté.
Ce n’est pas l’histoire qui vous portera. Ce sont vos besoins primaires. Et la prochaine arme à assembler avec des bouts de cadavre.
Manger, massacrer, fabriquer
Deadcraft repose sur une promesse : fusionner les codes du jeu de survie, de l’action-RPG, et du crafting systémique, avec en prime une mécanique centrale intrigante — celle d’un héros hybride, capable de convoquer la pourriture comme arme tactique. Sur le papier : audacieux. À l’écran : inégal.
La boucle de jeu est claire : fouiller, récupérer, fabriquer, survivre. Reid a faim, soif, besoin de repos. Il collecte, transforme, commerce et tue. À mesure que le joueur explore les ruines d’un monde morcelé en zones cloisonnées, il assemble armes, pièges et potions avec les rebuts de la civilisation. À cela s’ajoute une touche macabre : le crafting de zombies, véritables compagnons de fortune que l’on peut élever, nourrir et envoyer se battre.
La gestion de la double nature de Reid — humaine et zombie — apporte une tension ludique réelle. Passer en mode zombie permet de se soigner, de devenir invisible, ou de libérer des attaques puissantes… au prix d’une perte de crédibilité sociale et de capacités humaines. Il faut doser, jongler, s’adapter. Sur ce point, le jeu parvient à créer une mécanique originale et engageante.
Mais au-delà de cette idée centrale, tout s’essouffle. Les mécaniques de combat, malgré des compétences variées, deviennent vite répétitives. Les ennemis, qu’ils soient humains ou morts-vivants, réagissent de manière identique, et les affrontements s’enchaînent sans véritable enjeu stratégique. L’interface de crafting, confuse, alourdit une progression déjà ralentie par des allers-retours incessants et une collecte fastidieuse.
Les quêtes, souvent anecdotiques, servent davantage à débloquer de nouvelles recettes qu’à nourrir une quelconque narration. Le système de réputation, théoriquement intéressant, reste sous-exploité. Quant à l’équilibrage économique, il souffre d’une logique de grind peu inspirée, où l’on répète plus qu’on ne décide.
Deadcraft ne manque pas d’idées. Mais trop souvent, il vous les jette à la figure sans les affiner. Et dans ce chaos de mécaniques entassées, seule la logique de survie primaire parvient à tenir le cap.
Décombres saturés, cadavres pixelisés
Visuellement, Deadcraft ne cache pas ses limites. Le moteur est modeste, les textures grossières, l’animation rigide — et sur Nintendo Switch, chaque défaut saute aux yeux. L’univers, censé mêler humour noir et désolation post-apocalyptique, peine à convaincre : les environnements sont fonctionnels mais pauvres, les couleurs ternes malgré des touches cartoon, et les personnages semblent figés dans une époque technique révolue.
Les zones explorables, cloisonnées en petits segments urbains ou désertiques, manquent cruellement de variété visuelle. Malgré quelques efforts pour différencier les campements, les terrains vagues et les “zones mortes”, l’ensemble respire l’économie de moyens plus que la direction artistique affirmée. En mode portable, les artefacts visuels se multiplient : aliasing prononcé, baisse de résolution, et perte de lisibilité dans les scènes d’action.
Côté animation, le constat est tout aussi bancal. Reid se bat comme une marionnette mal huilée, les ennemis encaissent sans réaction crédible, et les zombies invoqués — pourtant censés être les stars du système de jeu — souffrent d’une inertie visuelle qui nuit à l’impact.
Et pourtant, malgré ces limites, l’ambiance tient grâce à une bande-son bien pensée. Les compositions sont discrètes mais efficaces, oscillant entre boucles synthétiques déformées et nappes sombres, apportant un minimum de tension dans les phases de combat. Les bruitages — crissements de métal, grognements des goules, sons de fouille et d’impact — fonctionnent correctement sans briller.
Les doublages, quant à eux, oscillent entre le convaincant et le grotesque. Rien de dramatique, mais le ton caricatural et surjoué aligne le jeu plus près du Z série que du comic book de qualité. Reste un univers sonore cohérent, au service d’un jeu visuellement limité, mais pas sans identité.
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