Il aura suffi de presque dix ans d’attente, trois changements de studio, une communication bancale et des trailers trompeurs pour que Dead Island 2 finisse enfin par apparaître… avant de glisser, en catimini, sur le Game Pass le 22 février 2024, comme un mort-vivant qui n’aurait plus la force de grogner. Développé par Dambuster Studio (à qui l’on doit déjà l’oubliable Homefront: The Revolution) et édité par Deep Silver / Plaion, le titre débarque dans une indifférence polie, trop tard, trop peu, trop bancal.
Le nom « Dead Island » évoque pourtant un certain héritage. Une ambiance bien à elle, entre hémoglobine tropicale et défouloir décalé, forgée autrefois par les Polonais de Techland, également à l’origine des deux Dying Light. Mais n’est pas Techland qui veut. Et ce second opus, à mille lieues de son aîné, semble n’avoir retenu que le vernis du concept, sans en préserver l’intention.
Reste alors cette question simple et brutale : Dead Island 2 a-t-il enfin trouvé son identité, ou est-il resté ce qu’il fut pendant toutes ces années de développement chaotique — un zombie vidéoludique errant sans but, ni cerveau, ni vision ?
Scénario crashé, écriture en quarantaine
Dès ses premières minutes, Dead Island 2 donne le ton : aucun. Dans une séquence d’introduction filmée façon caméra embarquée digne d’un mauvais mockumentaire, le jeu vous propulse dans un avion en plein crash… puis stoppe l’action pour vous demander, sans ciller, de choisir votre personnage parmi six inconnus, sans description, sans introduction, sans aucune forme de contextualisation.
Un choix arbitraire, presque désinvolte, présenté avec une surcouche d’humour forcé et de punchlines mal écrites — comme si tout était prétexte à une parodie mal assumée. Le message est clair : ici, le scénario n’a pas d’importance. Et c’est un problème. Car si l’original Dead Island proposait un récit simple mais engageant, ce second opus renonce à toute forme de narration structurée au profit d’un patchwork comique de mauvais goût.
Le héros (ou l’héroïne) que vous incarnez est, sans surprise, immunisé au virus, comme dans le premier épisode. Sauf qu’ici, cette immunité ne suscite aucune tension dramatique, aucun mystère, aucune construction. Elle est simplement jetée là, comme une excuse pratique pour justifier votre présence à Bel Air — dans la villa cliché d’une starlette hollywoodienne, autre décor creux dans un univers qui s’acharne à ne jamais rien prendre au sérieux.
Et cette légèreté, cette fausse ironie de façade, gangrène l’intégralité de la narration. Chaque personnage secondaire, chaque survivant, chaque “allié” est une caricature sans substance, un cliché ambulant dont la seule fonction est de déclamer une ligne de texte ou deux avant de disparaître dans l’oubli. Les rares figures issues du premier opus font office de caméos anecdotiques, incapables de redonner de la cohérence à un récit qui n’a ni enjeu, ni progression émotionnelle, ni centre gravitationnel.
Mais le plus gênant reste l’écriture elle-même. Ou plutôt son absence. Le jeu alterne sans cesse entre tentatives de drame et blagues ratées, brisant systématiquement ses rares moments de tension avec des saillies comiques stériles, totalement hors de propos. Résultat : Dead Island 2 n’a pas de tonalité. Il se veut fun sans jamais être drôle, dramatique sans jamais être touchant, irrévérencieux sans jamais oser dépasser la surface.
Et pour couronner le tout, aucun doublage français n’est proposé, forçant le joueur à lire des sous-titres au cœur même de l’action — un handicap de lisibilité incompréhensible en 2024 pour un titre grand public censé miser sur l’accessibilité immédiate.
On ne joue pas à Dead Island 2 pour son histoire. Et c’est bien là le problème : le jeu n’a même pas essayé d’en raconter une.
Des cartes pour masquer le vide
Sous ses airs de défouloir gore, Dead Island 2 tente de masquer sa pauvreté mécanique derrière une surcouche de systèmes aussi inutiles qu’illisibles. L’idée de départ est simple : arpenter les rues infestées de Hell-A, massacrer des zombies à la chaîne, améliorer son personnage, survivre. Mais dans les faits, le jeu échoue à donner de la substance à son action, malgré un système de progression par cartes qui aurait pu, sur le papier, apporter une vraie personnalisation.
Quatre types de cartes à équiper, des catégories de compétences (aptitudes, survivant, tueur, Numen), une progression fragmentée sur les vingt-quatre missions de l’aventure… Tout cela semble dense. Mais à l’usage, le système se révèle totalement bancal. Non seulement les descriptions sont floues — que fait exactement la “résilience” ? L’agilité influe-t-elle sur la vitesse de course ou la cadence d’esquive ? — mais certaines cartes remplacent littéralement des fonctions de base, comme l’esquive remplacée par une garde. Sans explication. Sans cohérence.
Le gameplay, déjà limité dans ses options de combat, devient alors rigide, instable, et fondamentalement frustrant. Le sentiment de montée en puissance est presque inexistant. Pire, les cartes censées vous rendre unique semblent interchangeables, mal équilibrées et parfois redondantes. Ce n’est pas de la personnalisation. C’est une usine à gaz qui ne produit rien.
La structure des niveaux, elle, achève de figer l’expérience. Adieu l’open world : Dead Island 2 opte pour une série de quartiers fermés, tous reliés par des points de transition, souvent étriqués, artificiellement cloisonnés. Ces zones rappellent davantage des hubs de MMO sous stéroïdes qu’un monde organique à explorer. Le loot est partout… et totalement aléatoire. Les zombies réapparaissent sans cesse, sans justification. Les armes se cassent vite. Les objets reviennent comme par magie. On farme. On vide. On revient. On recommence. Le cycle n’a aucune logique diégétique, aucune intelligence systémique.
Les combats, eux, oscillent entre brutalité efficace et pure absurdité. Les sensations sont là, surtout dans les démembrements ou les impacts bien sentis… mais la portée des armes est incohérente, les hitboxes approximatives, et la diversité tactique quasi inexistante. On tape. On bloque. On tape encore. Jusqu’à trouver une carte qui ajoute un effet passif quelconque. L’intensité ne monte jamais. La tension ne s’installe pas.
Le tout devient un exercice de répétition pure, sans enjeu, sans rythme, sans variation. Même les tentatives d’infiltration ou d’ambiances horrifiques sont avortées avant d’avoir commencé, tant le jeu semble refuser toute nuance dans ses intentions.
Dead Island 2 ne propose pas un gameplay nerveux, ni stratégique, ni intelligent. Il propose une boucle de démolition aussi bruyante que creuse, sur laquelle ont été plaquées des mécaniques superficielles, sans jamais que cela ne prenne.
ollywood en carton-pâte
Visuellement, Dead Island 2 commence par tromper son monde. La cinématique d’introduction, bardée d’explosions, de filtres lumineux et de ralentis stylisés, laisse entrevoir un jeu techniquement maîtrisé, voire clinquant. Un mirage. Une illusion. Car à peine le prologue passé, le vernis s’écaille violemment. Ce que Dambuster Studio montre dans les premières minutes, c’est tout ce que le jeu peut offrir — et c’est déjà trop ambitieux pour lui.
La direction artistique, pourtant pleine de potentiel, se perd dans des environnements qui peinent à exister au-delà de leur fonction de décor. Certes, les quartiers d’Hollywood, de Venice Beach ou de Beverly Hills offrent des variations de décors bienvenues, mais jamais ils ne donnent naissance à un monde crédible ou vivant. Tout semble figé, comme un parc à thème aux textures lisses, sans âme ni profondeur.
Et puis il y a la technique. Aucune trace de reflets dynamiques, pas même dans les miroirs. Des animations datées, parfois grotesques, que ce soit sur les zombies, les PNJs ou le personnage joueur. Les textures sont molles, les ombres hasardeuses, et les effets de lumière artificiels, donnant à l’ensemble une patine plastique qui trahit constamment la génération de consoles visée.
Seul le gore est à la hauteur. Les démembrements, les impacts sanglants, les visages éclatés et les mâchoires pulvérisées bénéficient d’un soin certain. Mais ce choix de se concentrer exclusivement sur l’aspect viscéral trahit une philosophie de développement réductrice, presque caricaturale : tout pour le carnage, rien pour la cohérence. Le reste du jeu semble avoir été sacrifié sur l’autel du sang et de l’hémoglobine interactive.
Côté sonore, le constat est tout aussi déséquilibré. Les voix sont uniquement en anglais, sans aucune option de doublage en français. Un choix regrettable, surtout lorsque les sous-titres doivent être lus en pleine action — un défaut structurel pour un jeu aussi verbeux et visuellement chargé.
Les bruitages, eux, sont inégaux. Les coups portés sont lourds, violents, mais le mixage manque parfois de clarté, et certaines interactions environnementales souffrent d’une absence d’habillage sonore crédible. Quant à la musique, elle reste fonctionnelle, générique, incapable de soutenir ou sublimer les rares pics de tension.
Dead Island 2 est un jeu qui, visuellement comme auditivement, se contente du strict minimum — et parfois moins. Une vitrine de gore posée sur un moteur visiblement dépassé, qui n’arrive jamais à faire illusion plus de quelques minutes.
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