Près de deux décennies après avoir marqué au fer rouge les années PlayStation, Crash Bandicoot revient, non pas seul, mais en trilogie. Crash Bandicoot N. Sane Trilogy, développé par Vicarious Visions et publié par Activision, regroupe les trois épisodes fondateurs de la saga — Crash Bandicoot, Cortex Strikes Back et Warped — entièrement remasterisés, retravaillés visuellement, mais résolument fidèles à leur squelette originel.
Cette renaissance s’offre un détour ambitieux sur Nintendo Switch, promettant de faire rugir la nostalgie en mode portable. Une promesse séduisante, certes. Mais derrière les souvenirs, les polygones ne cachent-ils pas quelques angles morts ? Ces classiques supportent-ils encore le poids du temps, ou trébuchent-ils sur leurs propres reliques ?
Cortex, marsupiaux et chaos temporel
L’univers de Crash Bandicoot ne se raconte pas, il s’avale d’un trait. Le récit, volontairement minimaliste, fonctionne davantage comme une toile de fond burlesque qu’une fresque narrative ambitieuse. Vous incarnez Crash, cobaye raté d’un savant mégalomane, le Docteur Neo Cortex, qui n’a rien trouvé de mieux que de créer sa propre némésis en tentant de le contrôler.
Chacun des trois volets présents dans la N. Sane Trilogy articule sa progression autour d’une structure simple mais efficace : repousser Cortex et ses sbires dans une succession de niveaux colorés, piégés, absurdes, où la narration se glisse entre deux gags visuels et quelques cinématiques cartoonesques intégralement refaites.
L’écriture n’a jamais été le moteur de la série. Et pourtant, dans cette galerie d’archétypes volontairement grotesques — le savant fou, le tigre de foire, la sorcière vaudou, la parodie de boss mafieux — quelque chose persiste. Une identité. Une folie douce qui tient autant du Looney Tunes que du délire post-psychédélique. Les personnages n’évoluent pas, mais ils vivent, ils gesticulent, ils crient et explosent avec un enthousiasme contagieux.
Si Crash reste un avatar muet, son animation surjouée et ses mimiques exagérées suffisent à incarner une forme de naïveté pure, presque attachante. Sa sœur Coco, jouable dans cette version retravaillée, apporte un contrepoint léger, tandis que Cortex, éternel pantin mégalo, continue d’osciller entre menace grotesque et ridicule assumé.
Crash Bandicoot n’a jamais prétendu à la profondeur, mais il excelle dans l’efficacité immédiate de son comique visuel et de ses antagonistes caricaturaux. Une farce assumée, qui trouve dans cette refonte l’occasion d’un second souffle sans perdre une miette de son absurdité originelle.
Marcher sur des clous, sauter dans l’oubli
Touchez pas au gameplay. Voilà, en substance, le serment de Vicarious Visions. Et il a été tenu. Les trois volets de la N. Sane Trilogy reprennent au pixel près les mécaniques d’origine : saut millimétré, attaque tournoyante, double-saut (introduit dans le second épisode) et déplacements rigides. L’intention est claire : préserver la sensation d’époque, quitte à réveiller les vieux démons.
Mais c’est là que le bât blesse. Ce qui était exigeant en 1996 devient aujourd’hui un terrain miné. La physique des sauts, inchangée, s’avère implacable. Les hitboxes, parfois aussi instables qu’un TNT mal enclenché, provoquent des chutes qui frôlent l’injustice. La précision demandée, surtout dans des niveaux comme The High Road ou Road to Nowhere, tutoie l’absurde.
Chaque niveau est un piège tendu. Rien n’est gratuit, aucune aide visuelle ne vient compenser les angles de caméra parfois perfides. Les célèbres courses face à l’écran — où un rocher géant ou un ours vous poursuit — restent parmi les plus punitives de la série. Le game design repose sur la mémorisation, la répétition, la souffrance.
Mais si la difficulté flirte avec la cruauté, elle n’en reste pas moins structurée, lue, maîtrisée. Il y a un plaisir coupable à rejouer vingt fois le même segment pour obtenir enfin le timing parfait. Les contre-la-montre, ajoutés dans cette trilogie, amplifient cette logique jusqu’à l’obsession : chaque saut devient une opération chirurgicale, chaque roulade une prière.
Côté structure, les trois jeux offrent une progression plus fluide à mesure que la série gagne en maturité : Crash 2 introduit des hubs non-linéaires, Warped explose la formule avec des véhicules, des niveaux aquatiques, des phases aériennes. Le tout sans jamais trahir l’esprit de la plate-forme punitive.
Trop rigide pour les néophytes, trop exigeant pour les impatients, mais toujours brillant dans sa simplicité méthodique. Voilà ce que propose la N. Sane Trilogy : un retour à l’essence du die & retry, pur, brut, sans concessions.
Rire sous les palmiers en haute définition
Ce n’est pas un lifting. C’est une résurrection graphique. Chaque centimètre de la N. Sane Trilogy a été recréé de zéro. Les polygones rugueux de la PlayStation ont cédé la place à des textures ciselées, des effets de lumière dynamiques, et des animations d’une fluidité surprenante, même sur Nintendo Switch.
Les jungles vibrent sous le souffle du vent, les ruines aztèques s’effritent sous la lumière rasante, et les niveaux enneigés étalent leur blancheur froide comme une carte postale animée. Le style cartoon, signature visuelle de la saga, est respecté avec une fidélité chirurgicale, mais rehaussé de mille détails invisibles autrefois : ombres portées, reflets aquatiques, feuillages réactifs.
Crash lui-même devient un personnage plus expressif que jamais. Sa fourrure semble presque palpable, ses mimiques grotesques renforcent le comique visuel, et ses animations — chutes, danses de victoire, grimaces paniquées — incarnent tout le charme burlesque de la série. Coco, jouable dans les trois épisodes, bénéficie du même soin, tandis que les ennemis et boss retrouvent leurs poses absurdes, mais animées avec une finesse nouvelle.
Les cinématiques, quant à elles, ont été entièrement refaites, tout en gardant l’esprit déjanté des originales. L’humour slapstick, les gags visuels, les poses outrées de Cortex : tout est là, simplement plus net, plus vif, plus vivant.
Côté bande-son, le travail est plus discret mais tout aussi soigné. Les musiques iconiques ont été réorchestrées, plus claires, plus larges, mais sans trahir leurs compositions initiales. Chaque niveau retrouve ses thèmes — des percussions tribales aux mélodies électroniques — avec une justesse respectueuse. Les bruitages, eux, participent à l’ADN sonore du jeu : caisses qui explosent, rebonds, glissades sur la glace… tout sonne juste, tout rappelle, tout fonctionne.
En mode portable, la Switch fait des concessions : résolution en baisse, textures légèrement floutées, effets visuels simplifiés. Mais l’ensemble reste lisible, fluide, et diablement plaisant à parcourir en mobilité.
Une performance compressée, mais pas trahie
Porter une trilogie remasterisée sur une console portable relevait de la gageure. Et pourtant, Crash Bandicoot N. Sane Trilogy s’en sort avec une étonnante dignité sur Nintendo Switch. La version dockée conserve une netteté appréciable, tandis que le mode portable, bien que plus flou, maintient une fluidité constante, même dans les niveaux les plus animés.
Les temps de chargement sont corrects, sans être exemplaires. L’interface, quant à elle, a été adaptée avec soin : claire, ergonomique, rapide à naviguer, elle respecte la logique de la compilation tout en évitant les lourdeurs.
En revanche, l’absence d’options d’accessibilité se fait sentir. Aucun mode de difficulté ajustable, aucun système d’aide pour les segments les plus techniques : la trilogie reste droite dans ses bottes, fidèle à sa philosophie de l’échec répété. Une posture qui, si elle respecte l’œuvre originale, pourrait décourager les moins persévérants.
À noter également : les sauvegardes manuelles, absentes dans le premier Crash Bandicoot, ont été partiellement intégrées via des autosaves fréquentes. Une concession bienvenue qui ne compromet en rien l’esprit die & retry de l’ensemble.
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