Disponible sur Nintendo Switch depuis ce 28 février 2019, Constructor Plus est la résurrection inattendue d’un mythe de la gestion immobilière des années 90. Développé par System 3, ce titre veut marier la rigueur de la simulation urbaine aux manœuvres les plus tordues du sabotage stratégique. Un pari osé, presque anachronique, qui vous place à la tête d’un empire du béton prêt à tout pour écraser la concurrence.
Mais derrière cet hommage assumé à Constructor, derrière les clowns tueurs et les hippies anarchistes, une autre question surgit : la Switch est-elle le bon terrain de jeu pour une telle débauche de complexité ?
Car si le concept reste fascinant, sa mise en œuvre sur console portable pourrait bien tout compromettre.
L’empire du vice, la cité sans morale
Dans Constructor Plus, vous n’êtes pas un héros. Vous êtes un promoteur sans scrupules, un architecte du chaos, un bâtisseur de fortunes fondées sur le mal-logement et l’intimidation. Pas de trame linéaire, pas de récit classique : ici, le scénario s’écrit à coups de loyers impayés, de squatteurs envoyés saboter les voisins, de hooligans déclencheurs de révoltes. Le monde est un marché, et chaque personnage n’est qu’un outil dans votre stratégie d’expansion.
Les “unités spéciales” constituent le cœur narratif du jeu. Clowns assassins, gangsters, fantômes, hippies drogués — autant de figures grotesques qui remplacent les classes traditionnelles du genre. Ils ne racontent pas une histoire par les mots, mais par leurs actions, par les déséquilibres qu’ils provoquent. Ce sont les anti-héros d’une fable urbaine où la loi du plus sale prévaut sur celle du plus fort.
Cette approche absurde et amorale est pleinement assumée. Elle transforme Constructor Plus en satire du libéralisme immobilier, où l’humanité est réduite à des statistiques, et la ville à un champ de bataille économique.
Il n’y a pas de quête à accomplir, seulement des profits à maximiser. Et dans ce monde de béton et de vice, vous êtes le roi… ou un pion en sursis.
Stratégie tentaculaire dans un chaos méthodique
Constructor Plus est un jeu de gestion carnivore. Il ne vous laisse aucun répit, aucune certitude, aucun automatisme confortable. Tout est affaire de dosage, d’anticipation et de perfidie calculée. Chaque bâtiment que vous élevez devient une cible. Chaque citoyen une variable instable. Chaque concurrent, un ennemi à démolir — littéralement.
Le gameplay repose sur une double tension : faire croître son empire immobilier tout en sabotant celui des autres. Vous bâtissez, vous louez, vous encaissez… mais jamais en paix. Car à tout moment, un punk crasseux peut venir déclencher une émeute chez vous, une infestation de rats ruiner vos loyers, ou un fantôme hanter vos logements. Ce sont là vos propres armes aussi : l’équilibre est instable, toujours au bord de la rupture.
Le jeu déploie une complexité vertigineuse. Une centaine de bâtiments, des dizaines de personnages à gérer, des systèmes d’entretien, de taxation, de satisfaction des locataires, et surtout un arsenal de nuisibles humains pour déséquilibrer vos rivaux. Le concept est aussi riche qu’intransigeant. Et c’est là que le bât blesse.
Car si Constructor Plus brille par la diversité de ses mécaniques, il oublie d’enseigner ses propres règles. Les tutoriels sont lacunaires, l’interface peu intuitive, et les premières heures ressemblent moins à une progression qu’à une noyade lente dans un océan de menus et de microsystèmes opaques.
Le level design ne s’exprime pas dans des cartes prédéfinies, mais dans la capacité du joueur à tirer profit de son environnement. Et sur ce point, le jeu innove avec des zones de jeu variées : villes terrestres, colonies lunaires, avant-postes martiens… Chaque environnement impose des contraintes propres, entre gestion de l’oxygène ou optimisation des ressources rares. Cette variété structurelle apporte une fraîcheur indéniable, mais exige une adaptation constante.
Constructor Plus est un jeu exigeant, labyrinthique, presque hostile. Il ne s’offre qu’à ceux qui acceptent de dompter sa logique interne. Pour les autres, il restera une usine à gaz baroque, fascinante de loin, hermétique de près.
Le bruit des perceuses, les reflets du béton
Visuellement, Constructor Plus ne cherche jamais l’élégance. Il préfère l’efficacité. Son esthétique rappelle celle des vieux jeux de gestion des années 90, avec ses textures grossières, ses couleurs criardes et ses animations caricaturales. C’est volontairement kitsch, presque anachronique — un parti pris rétro assumé qui évoque plus la nostalgie qu’une ambition artistique réelle.
Sur Switch, cet habillage vieillot prend un coup supplémentaire : textures simplifiées, modèles rudimentaires, interface condensée, et une lisibilité parfois compromise sur écran portable. Les environnements extraterrestres — Lune, Mars, colonies orbitales — tentent d’apporter un peu de variété visuelle, mais souffrent des mêmes limitations. Le charme de ces zones repose davantage sur leurs mécaniques que sur leur rendu.
Les effets sonores, eux, sont fonctionnels. Bruits de marteaux, cris de locataires mécontents, alarmes stridentes… Tout est là pour appuyer le chaos permanent qui règne dans vos quartiers. La bande-son, en revanche, reste en retrait, se contentant d’accompagnements génériques qui peinent à imprimer une identité sonore marquante.
Pas de doublages notables, pas de variations musicales en fonction des événements. L’ambiance est brute, presque muette, comme si le jeu n’avait pas encore trouvé sa voix. Un silence étrange pour un titre aussi bruyant dans ses mécaniques.
Le résultat est un univers sonore et graphique au service du système, jamais de l’immersion. Le jeu est lisible, oui — mais jamais séduisant.
Portage en chantier, promesse en péril
Sur Nintendo Switch, Constructor Plus vacille. Non pas dans ses idées — toujours aussi denses, tordues et stimulantes — mais dans leur exécution technique. La console peine à suivre. Dès que la ville s’étend, le framerate chute. Les animations deviennent saccadées, les délais de réponse s’allongent, et la fluidité du gameplay s’effondre. Le jeu reste jouable, mais jamais confortable.
Les temps de chargement sont longs, anormalement longs pour un titre de cette nature. Chaque transition casse le rythme. Chaque retour au menu devient une pause forcée. Et l’absence de fonctionnalités tactiles, pourtant naturelles sur Switch, achève de trahir une adaptation paresseuse.
L’interface, quant à elle, souffre d’un empilement de couches. Menus, sous-menus, fenêtres contextuelles : tout nécessite plusieurs manipulations. Ce n’est pas qu’elle est mal pensée. Elle est simplement calquée sur la version PC, sans réelle reconsidération pour l’ergonomie d’une console portable. Naviguer à la manette devient laborieux, surtout lorsqu’il s’agit de gérer des tâches répétitives ou de micro-manager ses unités spéciales.
Et pourtant, derrière cette lourdeur, un monstre stratégique sommeille. Ceux qui persévèrent, qui surmontent l’opacité des systèmes et l’inconfort technique, découvrent une profondeur rare. Une liberté architecturale impressionnante. Une capacité de personnalisation immense. Mais encore faut-il y survivre.
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