Quand on parle de Minetarō Mochizuki, l’auteur est souvent associé à ses thrillers d’horreur comme Dragon Head. Mais avec Chiisakobé, publié antérieurement aux éditions Le Lézard Noir en quatre volumes, il change radicalement de registre. Désormais publié sous forme de coffret luxueux en édition limitée le 4 décembre 2024 ; ce manga est une adaptation libre d’un roman de Shūgorō Yamamoto. Chiisakobé se présente comme un récit intime et profondément humain où les concepts de responsabilité, de reconstruction et de renouveau prennent vie dans un cadre contemporain. Mais ce changement de ton est-il à la hauteur des attentes ?

Un récit de renaissance au cœur de la modernité japonaise

L’histoire de Chiisakobé s’ouvre sur une tragédie : un incendie dévastateur qui détruit la menuiserie Daitome et tue les parents de Shigeji, le héros de cette histoire. Héritier de cette entreprise familiale emblématique, il décide, contre toute attente, de reconstruire l’entreprise dans le quartier ravagé, malgré les obstacles financiers, les clients méfiants et les souvenirs douloureux qui hantent chaque ruelle.

Cependant, Chiisakobé n’est pas simplement l’histoire de la reconstruction d’un bâtiment. C’est aussi celle de la reconstruction d’un homme et de ses valeurs. Shigeji, jeune adulte impassible, se bat pour trouver sa place dans ce monde sans ses parents, tout en assumant la responsabilité des cinq orphelins recueillis après l’incendie. Il engage également Ritsu, une amie d’enfance devenue tutrice des enfants, dont la présence silencieuse et bienveillante apporte une stabilité précieuse à l’ensemble.

Un voyage introspectif sur la responsabilité et le renouveau

La grande force de Chiisakobé réside dans sa capacité à aborder des thématiques universelles avec une simplicité trompeuse. Le manga explore en profondeur les notions de devoir, d’honneur et de persévérance, ancrées dans la culture japonaise, mais le fait sans sombrer dans le didactisme.

Shigeji est un protagoniste fascinant par son apparente immobilité. S’il semble froid et distant, son évolution intérieure est subtile et réaliste. Son engagement à reconstruire l’entreprise de ses parents n’est pas un simple acte de devoir filial : c’est aussi une tentative désespérée de trouver un sens à sa vie. Sa détermination à « ne licencier personne » et à « protéger les siens » devient un leitmotiv qui prend tout son sens à mesure que les orphelins s’installent dans sa vie.

Ritsu, quant à elle, est le personnage pivot qui équilibre cette tension émotionnelle. Si Shigeji est l’incarnation de la force silencieuse et du travail acharné, Ritsu incarne la douceur, le soutien et la gestion quotidienne. Sa relation avec les enfants est naturelle, presque maternelle, mais son histoire personnelle reste volontairement en retrait, ajoutant un mystère délicat à sa personnalité.

Des personnages complexes et profondément humains

Les interactions entre les personnages sont le moteur principal de l’œuvre. Chaque enfant recueilli par Shigeji possède une personnalité distincte, allant du jeune garçon rebelle à l’intellectuel curieux. Ces portraits, bien que succincts, sont toujours justes et donnent vie à cette petite communauté dysfonctionnelle mais attachante.

Shigeji, malgré sa rigidité apparente, finit par s’attacher à ces enfants et à comprendre que sa mission dépasse largement la simple reconstruction d’un atelier. Il apprend à devenir un modèle, un tuteur, et à transmettre des valeurs importantes, bien qu’il le fasse souvent à sa manière, maladroite et silencieuse.

Le voisinage et les employés de la menuiserie sont également bien développés. Les dialogues sont sobres mais chargés de significations, souvent ponctués d’humour discret ou de remarques acérées sur la société japonaise contemporaine.

Une esthétique maîtrisée et un style unique

Graphiquement, Chiisakobé se distingue par un style à la fois minimaliste et expressif. Minetarō Mochizuki adopte une esthétique épurée, proche de la « ligne claire » franco-belge, avec des traits précis et des décors minimalistes mais percutants. Cette simplicité graphique contraste avec l’intensité émotionnelle du récit et souligne l’intimité des interactions humaines.

Les expressions faciales sont particulièrement travaillées. Shigeji, malgré son apparence stoïque, parvient à exprimer une vaste gamme d’émotions à travers des changements subtils dans ses traits. Les enfants, quant à eux, sont dessinés avec une exubérance qui illustre leur spontanéité et leur vitalité.

La mise en scène de Chiisakobé est l’un de ses points forts. Mochizuki maîtrise l’art du cadrage et du découpage narratif, donnant au manga un rythme contemplatif rappelant certains films d’auteur japonais. Les longues pauses, les plans fixes et les séquences muettes renforcent l’immersion du lecteur et amplifient les moments d’émotion.

J’aime

L

Une narration introspective et émouvante.

L

Des personnages profonds et humains.

L

Une esthétique graphique originale et maîtrisée.

L

Une ambiance douce-amère captivante.

J’aime moins

K

Un rythme contemplatif qui pourrait déstabiliser certains lecteurs.

K

Une intrigue volontairement minimaliste, centrée sur le quotidien.