Sous l’éclairage blafard des torches vacillantes, Barony tend son piège : un hommage rugueux aux roguelikes classiques, aussi brutal qu’impitoyable.
Développé par Turning Wheel LLC et débarqué sur Nintendo Switch en août 2023, ce voyage dans des donjons sans mémoire promet une épreuve où chaque pas, chaque souffle, chaque choix peut précipiter votre chute.
Loin des envolées modernes du genre, Barony revendique ses racines archaïques : mort permanente, donjons générés aléatoirement, pièges cruels et combats sans pitié. Mais si le défi s’adresse aux âmes les plus téméraires, la transition sur la console hybride de Nintendo, elle, laisse planer une autre question : entre l’appel de l’aventure et la rudesse d’une conception sans concessions, le jeu réussit-il vraiment son exil vers la Switch ?
La malédiction silencieuse du Baron déchu
Dans les profondeurs d’un donjon oublié, la quête prend racine.
Barony ne cherche pas à tisser une fresque complexe : il érige une mission brute, sans fioritures, un simple pacte entre le joueur et l’abîme. Vous incarnez un aventurier téméraire, chargé de briser la domination du terrible Baron Herx, liche millénaire dont la seule existence a plongé le monde d’Hamlet dans la peur et la misère.
Ce scénario, d’une simplicité presque archaïque, tient parfaitement son rôle. Il ne prétend pas envoûter par des arcs narratifs entremêlés ni par une psychologie fouillée. Il offre un prétexte brut pour plonger, encore et encore, dans les ténèbres mouvantes d’un labyrinthe mortel, où la moindre erreur scelle un destin sans appel.
Mais cette efficacité dépouillée cache aussi ses faiblesses.
Privé de réelle narration dynamique, Barony laisse le joueur dériver sans attaches émotionnelles, sans véritables visages à haïr ou à aimer. Le Baron, omniprésent par son ombre, reste une menace abstraite, lointaine, jamais incarnée jusqu’à l’ultime affrontement.
Pire encore, pour les joueurs francophones, l’absence totale de traduction française érige une barrière froide et impitoyable. Comprendre les compétences, les sorts, les interactions devient un défi parallèle, superposé à celui, déjà implacable, de survivre aux pièges du donjon.
Ainsi, l’histoire de Barony reste fidèle à son essence : une malédiction silencieuse, une épreuve plus qu’un récit, où chaque descente est une page blanche offerte à ceux qui acceptent d’écrire leur propre épitaphe.
Les chaînes invisibles du labyrinthe implacable
Au cœur de Barony palpite une mécanique aussi ancienne que cruelle : celle du roguelike pur, sans concession, où la mort n’est pas un obstacle temporaire mais une sentence définitive.
Chaque descente dans les profondeurs du donjon est un pacte : accepter de tout perdre au moindre faux pas, recommencer nu, vulnérable, face à un monde bâti pour broyer plutôt que pour accueillir.
Le jeu propose une variété séduisante de classes : guerriers, mages, rôdeurs, chacun apportant son lot de compétences et de styles de jeu distincts. Mais cette richesse, séduisante en apparence, se heurte très vite à une brutalité presque aveugle en solo.
Commencer avec une dague émoussée ou quelques sorts chétifs ne suffit pas à survivre plus de quelques salles. Chaque couloir peut devenir un tombeau, chaque virage un guet-apens. Une simple embuscade, un piège dissimulé dans l’ombre, et la partie s’effondre dans une violence expéditive, ne laissant que l’amertume du recommencement.
Le level design procédural, s’il garantit une certaine imprévisibilité, ne cherche jamais à ménager le joueur. Pas de pitié, pas d’apprentissage progressif : l’apprentissage passe par l’échec, encore et encore, dans une spirale presque masochiste.
À cela s’ajoute une navigation parfois entravée par des pièges injustes, des culs-de-sac mortels, et des mécaniques punitives où la moindre erreur est fatale.
En solo, Barony frôle parfois l’absurde : mourir piégé entre deux ennemis, se faire tuer par une flèche invisible, perdre des heures de progression pour un faux mouvement mal interprété par l’interface rugueuse.
C’est dans cet enfer méthodique que le jeu révèle toute son essence : une épreuve d’endurance mentale autant qu’une aventure. Mais une épreuve qui, seule, brise plus souvent qu’elle n’enseigne.
Mosaïque de cubes et symphonie d’ombres étouffées
Dans l’obscurité poisseuse des donjons de Barony, l’esthétique choisie oscille entre charme désuet et austérité crue.
Le style voxel, volontairement anguleux, rappelle les premières tentatives d’univers tridimensionnels, quelque part entre l’hommage rétro et la limitation technique assumée.
Mais derrière les murs cubiques et les silhouettes ébréchées se tisse une atmosphère plus lourde qu’il n’y paraît : un monde où chaque torche vacillante semble lutter contre la suffocation ambiante, où chaque salle respire la menace latente.
Si certains apprécieront la simplicité graphique comme un clin d’œil aux roguelikes d’antan, d’autres y verront un manque criant de variété. Les donjons se succèdent sans réel renouvellement visuel : mêmes textures brutes, mêmes architectures labyrinthiques, mêmes couloirs anonymes étirés jusqu’à l’usure.
Cette répétition, au-delà du style, finit par instiller une lassitude difficile à ignorer au fil des tentatives.
Côté technique, la version Nintendo Switch accuse le coup. La lisibilité souffre en mode portable, où la taille minuscule des textes transforme chaque consultation d’inventaire ou de compétences en épreuve de patience.
Les menus, hérités d’une ergonomie pensée pour le PC, peinent à s’adapter aux contraintes de la manette, ralentissant chaque interaction et brisant la fluidité pourtant vitale d’une expérience roguelike.
La bande-son, discrète mais efficace, accompagne cette descente lente dans l’oubli. Mélodies minimales, notes étouffées, silences lourds : Barony ne cherche pas à vous emporter, mais à vous enfermer dans une ambiance d’isolement froid, où chaque bruit de pas peut être le dernier.
Les entraves invisibles d’une aventure sans relâche
Si Barony brille par son approche roguelike impitoyable, il souffre également de nombreuses limites techniques et d’interface qui viennent altérer l’expérience, surtout sur Nintendo Switch.
Le jeu fonctionne sur un moteur solide, mais la transition vers la console hybride de Nintendo laisse plusieurs aspérités visibles. Les menus sont mal adaptés à la manette, avec des textes trop petits et des interactions maladroites. L’interface PC, fonctionnelle pour un clavier, peine à se réinventer pour les commandes à la manette, rendant l’ensemble frustrant à naviguer, surtout dans un jeu où chaque décision compte.
En revanche, le mode multijoueur, bien que rudimentaire, apporte une certaine bouffée d’air frais. Jouer en coopératif permet de gommer une partie des frustrations solitaires, permettant aux joueurs de combiner leurs compétences et de surmonter les obstacles plus facilement. Mais là encore, l’interface reste un frein. Les petites polices de texte et la complexité des menus diminuent l’ergonomie de l’expérience, même en groupe.
La localisation est un autre point noir : l’absence de traduction en français crée une barrière supplémentaire, surtout pour un jeu aussi dépendant de ses mécaniques et de ses objets textuels. Pour un jeu déjà exigeant, cette barrière linguistique devient un obstacle difficilement surmontable, et l’immersion en souffre.
Techniquement, malgré les ralentissements parfois fréquents et les problèmes de lisibilité, Barony demeure un jeu qui récompense la persévérance. Chaque victoire, chaque avancée, vous fait sentir que vous avez mérité votre place dans ce monde impitoyable. Mais la question reste : jusqu’où le jeu pourra-t-il supporter ses propres limitations ?
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