En septembre 2021, Square Enix déjouait tous les pronostics en dévoilant Actraiser Renaissance, un remake inattendu du classique de 1990. Aucune annonce préalable, aucune fuite, aucune campagne marketing tapageuse : le jeu surgissait directement sur l’eShop, comme un vestige d’un autre temps ramené à la lumière. Derrière ce projet improbable se cachait Sonic Powered, modeste studio japonais surtout connu chez nous pour l’oublié From the Abyss sur Nintendo DS.
Un éditeur légendaire, un développeur discret, une licence tombée dans l’oubli… Tous les éléments semblaient réunis pour un projet sans éclat, pensé à la hâte pour flatter une fibre nostalgique. Et pourtant, contre toute attente, Actraiser Renaissance se révèle être bien plus qu’un simple coup marketing. Dans un équilibre fragile entre respect de l’original et volonté de modernisation, le jeu tente de raviver une flamme éteinte depuis longtemps.
Mais ce retour divin parvient-il réellement à convaincre dans un monde vidéoludique qui a tant évolué ? Ou n’est-il qu’un écho lointain d’une grandeur passée ?
Les voix égarées du monde divin
Dans Actraiser Renaissance, vous incarnez sans détour Dieu. Face à un monde ravagé par des forces infernales, votre mission est de guider l’humanité sur la voie de la prospérité, en restaurant la lumière dans six régions corrompues. Mais cette simple prémisse dissimule une richesse narrative insoupçonnée pour un jeu issu d’une époque où l’histoire n’était souvent qu’un prétexte.
Actraiser Renaissance surprend en développant une narration dense et soignée. Chaque région est habitée par ses propres héros, figures mortelles portées par des désirs et des douleurs singulières. Le guerrier errant, le sage rongé par le doute, la prêtresse en lutte contre le désespoir : autant de voix qui tissent un récit plus profond qu’attendu, où vos actions divines ne sont jamais sans conséquence.
Loin de se limiter à de simples prétextes à l’action, ces personnages deviennent les moteurs d’événements marquants. À travers de nombreuses séquences de dialogues, souvent d’une longueur inattendue pour ce type de production, vous découvrez leurs espoirs, leurs failles, et leurs dilemmes. Ces interactions renforcent l’attachement aux régions que vous protégez et contribuent à donner une véritable consistance au monde de Actraiser Renaissance.
Votre rôle de divinité omnipotente est également mis en perspective par les doléances incessantes des fidèles. Chaque prière — faire tomber la pluie, déclencher des vents, guérir des maladies — porte en elle une tension morale, car toutes ne peuvent être exaucées immédiatement. Certaines requièrent des capacités spécifiques, débloquées seulement après avoir développé d’autres régions. Le monde devient alors un écheveau complexe où vos interventions doivent être mesurées, parfois différées, toujours réfléchies.
Saluons enfin la localisation française, exemplaire, qui rend hommage à cette richesse d’écriture sans jamais trahir l’esprit du jeu original. Une attention précieuse qui permet de savourer pleinement les subtilités de cette fresque divine aux accents souvent mélancoliques.
La foi ébranlée par un gameplay d’un autre âge
Actraiser Renaissance se distingue par l’audace de son mélange de genres, fidèle à l’esprit du jeu originel. À travers des phases d’action en défilement horizontal, des séquences de gestion divine et des incursions en tower defense, le titre propose une alternance de mécaniques rarement vue, même aujourd’hui. Mais si l’idée séduit sur le papier, son exécution, elle, trahit un certain anachronisme.
La phase d’action, où vous incarnez l’Avatar divin, constitue sans doute le maillon le plus faible de l’expérience. Rigide et lourd, votre guerrier semble figé dans une époque révolue. Les déplacements s’apparentent à ceux d’un poids lourd, les esquives manquent de fluidité malgré la possibilité de glissades arrière, et l’éventail des attaques reste réduit à quelques combinaisons basiques et sorts élémentaires. Ce classicisme assumé aurait pu séduire les nostalgiques, mais face aux standards actuels du genre, il expose cruellement les limites techniques et mécaniques du remake.
Heureusement, les séquences de gestion redonnent un peu d’éclat à l’ensemble. Incarner l’Ange guide de votre peuple implique de bâtir, d’étendre votre territoire et de répondre aux menaces démoniaques. Cette mécanique, héritée de Populous, conserve son charme d’antan, même si elle accuse elle aussi le poids des ans. La progression par cases, la nécessité de fermer les Antres de monstres pour stabiliser chaque région, et l’envoi de bénédictions divines pour répondre aux prières ponctuent un rythme lent mais addictif. Pourtant, la lisibilité des cartes, plombée par des décors trop détaillés, complexifie inutilement la gestion, un défaut que le minimalisme de l’œuvre originale savait éviter.
Enfin, l’intégration du tower defense insuffle un vent de fraîcheur. Lors de grandes invasions, il vous faut positionner pièges, tours et héros stratégiquement pour défendre vos colonies. Bien que relativement simple, cette mécanique apporte une variété bienvenue, obligeant à repenser l’expansion territoriale sous l’angle de la défense active.
Dans sa globalité, Actraiser Renaissance conserve un charme indéniable, mais son fidélité excessive au matériau d’origine limite son accessibilité aux seuls joueurs capables de passer outre une maniabilité datée et des lourdeurs structurelles. Là où un lifting du gameplay aurait pu sublimer l’héritage de 1990, le jeu préfère s’accrocher à ses racines, pour le meilleur comme pour le pire.
La splendeur piégée sous l’excès
Visuellement, Actraiser Renaissance affiche une volonté sincère d’adaptation aux standards modernes, sans pour autant renier son identité rétro. Tous les modèles ont été refaits en 3D, dans un style sobrement détaillé qui conserve l’esprit épique du jeu de 1990 tout en lui offrant une nouvelle densité visuelle. Chaque héros bénéficie également de magnifiques illustrations dessinées à la main, apportant une chaleur et une expressivité bienvenue aux nombreux dialogues.
Mais cette richesse graphique, si louable dans son intention, devient parfois un fardeau. La surcharge de détails, notamment lors des phases de gestion, rend la lisibilité confuse. Les différentes strates d’habitation, jadis facilement identifiables grâce à des graphismes minimalistes, se noient aujourd’hui dans un enchevêtrement visuel qui complexifie inutilement la tâche du joueur. Il n’est pas rare de passer de longues minutes à chercher une maison ou une structure spécifique perdue dans cette profusion d’éléments.
Les phases d’action, quant à elles, souffrent d’une exécution plus approximative. Les décors, certes jolis, peinent à instaurer une lisibilité claire : les bords des plateformes manquent de netteté, les hitbox semblent parfois erratiques, et l’impression générale de précision nécessaire au plaisir de jeu fait cruellement défaut. Cette confusion visuelle, ajoutée à la lourdeur des déplacements, contribue à étouffer l’énergie que devraient transmettre ces séquences.
En revanche, la bande-son de Actraiser Renaissance constitue une réussite éclatante. Yuzo Koshiro, compositeur de la bande originale de 1990, revient ici pour orchestrer une relecture magistrale de ses propres compositions. Les thèmes mythiques retrouvent une ampleur symphonique, enrichis d’arrangements modernes tout en respectant l’âme originelle. Chaque région, chaque affrontement bénéficie ainsi d’un accompagnement musical qui transcende souvent les limites techniques du gameplay.
Le doublage, absent, laisse toute la place à l’ambiance sonore et musicale, qui porte à elle seule une grande part de l’émotion du jeu. Le bruissement des vents divins, les roulements inquiétants précédant les invasions, les nappes mélancoliques accompagnant les prières de vos fidèles : tout contribue à ancrer Actraiser Renaissance dans une atmosphère contemplative, parfois solennelle, où la grandeur divine se teinte d’une mélancolie palpable.
L’épreuve du temps gravée dans le marbre
Actraiser Renaissance ne cherche jamais à masquer son héritage. C’est un jeu profondément ancré dans son époque, un hommage fidèle au point d’en reproduire autant les forces que les faiblesses. Si sa structure hybride action/gestion/tower defense conserve un charme atypique, elle se heurte inexorablement aux attentes modernes en matière de fluidité, de dynamisme et de confort de jeu.
En termes de contenu, le titre propose un volume généreux. Comptez près d’une vingtaine d’heures pour venir à bout des six régions et de leurs défis croissants, sans compter les multiples allers-retours imposés par la structure en monde semi-ouvert. La difficulté, fidèle à l’esprit de l’époque Super Nintendo, ne fait aucun cadeau : les phases d’action deviennent rapidement punitives, les assauts démoniaques en gestion requièrent un placement minutieux des défenses, et chaque erreur se paye comptant.
Le jeu bénéficie également d’une localisation française soignée, rare pour un projet de cette envergure. Cette traduction minutieuse sublime la richesse inattendue du scénario et permet à un public plus large d’apprécier pleinement la portée dramatique des quêtes secondaires, des doléances des fidèles ou des drames personnels des héros régionaux.
Cependant, cette fidélité à l’œuvre d’origine constitue aussi sa principale limite. Là où une modernisation plus audacieuse aurait pu rendre l’expérience plus accessible et agréable, Actraiser Renaissance préfère demeurer une capsule temporelle, s’adressant avant tout aux nostalgiques capables de composer avec ses lourdeurs de gameplay et ses quelques imprécisions techniques.
Le résultat est donc un projet sincère, porté par une volonté claire de respecter l’esprit du classique, mais incapable d’aller au-delà de son propre carcan pour véritablement reconquérir de nouveaux joueurs.
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